(Texte adopté le 24 avril 2019 par les membres du conseil national d’administration de Coup de soleil)

10 février 2019. L’Algérie est sous le choc : un communiqué signé du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, annonce qu’après quatre décennies de forte présence sur la scène politique algérienne dont vingt ans à la tête de l’Etat, il sera candidat à un 5ème mandat. Cette image pathétique d’un homme de 82 ans, réduit à l’impotence et au silence depuis un grave accident vasculaire cérébral en 2013, représente pour beaucoup d’Algériens « l’humiliation de trop ». Elle leur est d’autant plus insupportable que prospèrent, autour de ce président-fantôme, des clans de toute nature qui mettent peu à peu le pays en coupe réglée. Beaucoup d’observateurs doutent pourtant que le pays puisse « bouger » : traumatisés par la terrible guerre civile qui a frappé l’Algérie de 1992 à 2000, les Algériens seraient prêts à tout supporter plutôt que de repartir « à l’aventure ». Mais c’est oublier que la moitié de la population algérienne a moins de 30 ans et qu’elle aspire, tout naturellement, à sortir de ce monde opaque et figé qui la marginalise et lui ôte tout espoir en l’avenir.

C’est cette formidable jeunesse d’Algérie qui va donc envahir les rues, à partir du 22 février, pour dire « Barakat ! Ça suffit ! ». Une jeunesse qui montre alors au monde entier son courage, son intelligence, son humour, veillant à éviter le moindre débordement, affichant surtout sa dignité retrouvée et une détermination impressionnante à vouloir changer une donne politique qui lui est devenue insupportable. Autre signe très fort : ce phénomène n’est pas propre à Alger et aux autres grandes villes du pays. De l’Est à l’Ouest et du Nord au Sud, de la grande métropole à la petite bourgade, c’est toute l’Algérie qui manifeste sa volonté de changement. Même constat sur les générations (du lycéen de 15 ans à la « hadja » de 75 ans), comme sur les catégories socio-professionnelles qui se mobilisent : artisans, avocats, chefs d’entreprise, enseignants, fonctionnaires, ingénieurs, journalistes, magistrats, médecins, ouvriers, figures emblématiques de la lutte de libération comme Djamila Bouhired. Cette diversité fait toute la force de ce mouvement, qui a pris tout le monde de surprise. Le pouvoir, désemparé, a vu ses principaux supports s’effriter et n’a pu que reculer sans cesse, de semaine en semaine, jusqu’à ce 2 avril 2019 où l’armée l’a contraint à accepter « l’inacceptable » : l’abdication de Bouteflika.

Comment aujourd’hui, transformer tous les espoirs qui se sont levés en quelques semaines, en un tremplin pour un meilleur avenir de tout le pays ? C’est aux Algérien(e)s d’en décider, dans un contexte national, régional et mondial quelque peu complexe. L’Algérie, et c’est sa force principale, ne manque pas de gens sérieux, compétents, soucieux du bien commun pour relever aujourd’hui ce défi. C’est à elles et à eux que reviendra la lourde tâche de canaliser la formidable énergie dont le peuple algérien fait preuve aujourd’hui, afin d’assurer la transition non-violente qu’il appelle de tous ses vœux. Il faudra également à ces futurs dirigeants toute l’habileté et la fermeté nécessaires pour juguler les capacités de nuisance de tous ceux que pourraient contrarier ces objectifs de dignité, de liberté, de justice et de fraternité inlassablement affichés par des millions d’Algériens. Tous ceux qui ont profité du « système » ne lâcheront pas facilement les privilèges dont ils ont joui en termes de pouvoir et/ou de prébendes. Quant aux forces obscurantistes, marquées du sceau de l’infamie des « années noires », elles se font discrètes, mais les militants algériens n’ont pas oublié leur capacité de manipulation et leur sens de l’organisation.

Depuis plus de 30 ans, Coup de soleil et ses sections territoriales (Lyon, Marseille, Montpellier, Perpignan et Toulouse) ont su tisser des liens avec beaucoup d’associations du Maghreb, et particulièrement avec des associations algériennes. De très nombreux écrivains, artistes, universitaires et journalistes algériens, amis de Coup de soleil, sont également engagés dans le même mouvement. C’est pourquoi nous sommes aujourd’hui résolument à leurs côtés en leur disant notre admiration, notre profond respect et toute notre solidarité