Migrations en Méditerranée : l’Europe en quête d’humanité

Ali Bensaad, Isabelle Coutant, Jean-Paul Mari, Assaf Dahdah

Modératrice Nora Hamedi

Le constat actuel est dramatique, il existe une vraie crise de politique migratoire en Méditerranée (devenue la route la plus meurtrière du monde). Retour des frontières.

 Isabelle Coutant (sociologue spécialisée en sociologie de la migration « La migration en bas de chez soi – Seuil) évoque le squat de Belleville, qui est aujourd’hui autorisé et qui a vécu, à l’échelle du quartier, le problème de la grande Histoire.

 Assad Dahdah évoque son livre « La bibliothèque des frontières » aux éditions « Le passager clandestin ».Il a choisi de récolter des témoignages et histoires au Liban pour ne pas rester dans son fief « franco-français ».Plus qu’une crise migratoire nous sommes devant une crise de l’accueil.

 Jean-Paul Mari. Dernier ouvrage : ”En dérivant avec Ulysse ». Ed. Lattès L’Europe d’aujourd’hui pêche par ses inégalités flagrantes Il évoque son livre « Les bateaux ivres » et précise que les migrants ne sont pas un produit standard, qu’ils sont comme les autres humains, ni parfaitement bons, ni parfaitement mauvais.Son dernier livre est né de son envie de fouiller la Méditerranée, notamment à travers toutes les étapes du voyage d’Ulysse.

Ce texte l’a aidé à approfondir le mystère de la Méditerranée.Comment cette mer peut elle être cet endroit de jouissances, d’hédonisme, qui renferme des objets précieux comme les amphores et être à la fois froide, obscure, cimetière collectif ?

 Ali Bensaad, géographe, enseignant à Paris VIII : Il faut décentrer les regards. J’ai choisi ce sujet par rapport aux enjeux maghrébins et aussi par rapport aux enjeux méditerranéens.

Le nouveau barbare est désigné, c’est l’africain.Il faut déconstruire cette idée.La ruée vers l’Europe a été très médiatisée.Il y a eu de la part des pays maghrébins un déni des migrants;Ils sont devenus des boucs émissaires.En 2006, les migrants marocains étaient 11 fois plus nombreux que les noirs africains. Avant les traversées clandestines, il n’était pas nécessaire d’avoir un visa pour venir en Europe.

Ensuite, il y a eu Khadafi, « l’ami » à qui on a laissé le soin de gérer le problème des migrations.Il  y a une chasse à l’altérité.Une déstabilisation des sociétés dans leur état de victimes.

Nora Hamadi : On se souvent du discours du pape à Lampedusa, comment en est-on arrivé à voir la Méditerranée comme un cimetière ?

Ali BENSAAD : Hélas, il n’y a pas que la Méditerranée, on se souvient qu’en 2 000 un camion rempli de migrants a disparu vers Agadès et que le désert est un désert encore plus grand que la Méditerranée.

Assad Dahdah : Il y a une criminalisation de la migration. On érige des murs réels ou symboliques (voir celui contre les mexicains aux Etats-Unis)

Jean-Paul Mari : Il faut également se souvenir du drame des boat people en 1988.Là on délègue à la Libye celle de Khadafi et celle d’aujourd’hui la gestion de la migration.En 2015 on a versé 3 milliards d’euro à la Turquie, en échange de quoi ils ont obtenu des visas.

Nous ne sommes plus dans le rationnel, nous vivons une faillite historique de l’Europe.Il n’y a aucun discours commun donc aucune action commune possible !Nous avons des valeurs marchandes différentes.L’Europe est en panique, elle choisit d’étouffer le problème. : Plus de migrant visible, donc plus de problème de migration !

Et l’on criminalise les ONG qui agissent en faveur des migrants. »Tu te noies, mais si l’on te sauve, on est un criminel »!L’Italie a vidé la mer de ses témoins, on a bloqué les accès, empêché l’information.Longtemps on a laissé seuls la Grèce et l’Italie gérer le problème.

Il y a eu la formidable action de Mare Nostrum 150 000 humains sauvés ! Et il y a cette inique loi de Dublin qui exige que l’on renvoie les migrants dans le pays  où ils ont été débarqués !Il n’y a aucune réponse politique face à cela. Le revers de la médaille est donc la montée des populismes et le silence des gouvernements.La compassion s’est effondrée !

Ali Bensaad : Il y a eu l’exigence des visas en 1986, avant cela un million d’algériens circulait chaque année, Marseille vivait du commerce entre les deux rives.

Avant les visas, il n’y avait pas la notion de clandestin.Et il y a les affirmations de type « appel d’air, « jungle de Calais », une volonté « d’invisibilisation »  2015 a montré une désorganisation face au problème.Et des rumeurs : bien accueillir est dangereux et risque d’inciter les migrations !

Mais le problème est en bas de chez soi, on ne peut fermer les yeux. Il y a des effets à l’échelle locale, des engagements, beaucoup de femmes ou de personnes qui ont connu l’exil à travers leur histoire (parents ou grand-parents).Ce n’est pas forcément de la xénophobie que de ne vouloir accueillir.

Isabelle Coutant : Il y a aussi une peur de l’assimilation de la part de certains issus de l’immigration « On va nous confondre avec eux ».Ceux qui se mobilisent se trouvent souvent parmi les intellectuels.Dans les quartiers, on a peur que les nouveaux arrivants ajoutent de la misère à la misère.

Un projet de médiathèque a dû être abandonné parce que l’on a réquisitionné le lieu pour des migrants.Tout cela fait naître des sentiments divers, des émotions, des partages, la honte d’être français.L’arrivée de réfugiés dans la commune a très peu modifié le vote des citoyens. Et les bulletins sont plutôt allés vers les listes écologistes et extrême gauche). La mairie est PS.

Assad Dadha : au Liban, le problème est bien plus radical encore !

L’installation a créé le rejet, il y a aussi la peur panique de Daesh (à l’arrivée de syriens) On a institué un couvre feu pour eux.

Et ils ont interdiction de se rassembler à partir de 10 heures du matin.2014 : Fermeture de la frontière avec la Syrie.Création de visas, augmentation du prix des loyers à la périphérie de Beyrouth.A Chatila, il y a 25 à 50% de réfugiés palestiniens. Le reste est composé de syriens, bengladi etc.

Ali Bensaada : Aucun pays n’a créé un statut pour les réfugiés. Il y a eu de nombreuses expulsions vers le Niger. Le statut de réfugié politique est encore pire.Khadafi a renvoyé le HCR de Tripoli.Il y a un racisme institutionnel, une xénophobie d’Etat. Des rumeurs telles que : les migrants apportent le sida. On fait la chasse aux arrivants, il y a la peur e la rue, les populations d’ascendance servile sont les plus fragiles.

La question noire est importante. Hier un étudiant noir a été assassiné à Annaba sans que cela émeuve quiconque.Et il y a eu le scandale de Miss Algérie violemment insultée et menacée parce qu’elle avait la peau trop foncée!

Jean-Paul Mari : Il est important d’éviter le manichéisme, voir les migrants comme nous, pourquoi nous dérangent-ils?

Parce qu’ils sont dérangeants !Imaginons vous êtes au bord de la Seine et quelqu’un se noie. Que faîtes-vous ? Soit vous vous précipitez pour le sauver, soit vous le laissez se noyer.Sauver, c’est ce que l’on fait lorsque l’on est un Homme.

Plus on est loin, et plus on a peur de l’autre. Il n’y a aucune réponse politique à leur arrivée, on perd son pouvoir de compassion.Tant que l’on est hostile ou même inerte.Mais on peut imposer au peuple des idées auxquelles il n’était pas favorable. Quand on a supprimé la peine de mort, au départ la majorité des français étaient pour qu’elle demeure parce que, à l’époque, on avait des politiques pour faire passer le message.

Ali Bensaad : Merkel s’est retrouvée seule face au reste de l’Europe. D’où son échec.Ily a une grande hypocrisie, on laisse entrer les prostituées africaines, les dealers, mais pas les réfugiés !Et la division des pays n’arrange rien. France contre Italie.

Jean-Paul Mari : La faillite de l’Europe est un drame, elle montre le début de sa décadence. Et, puisque le populisme monte, il faut que les autres prennent la parole.L’Europe de l’Est n’est pas historiquement une zone d’accueil de migrants, le communisme a longtemps fermé ses portes aux étrangers.

Ali Bensaad : Oui, quand il s’agit d’un même monde social, on intègre plus facilement les autres, l’aspect social est important.Quant aux passeurs, quand il n’y en a plus ce sont les migrant eux-mêmes qui reprennent le rôle.

Isabelle Coutant : Il y a un enjeu important : il faut maîtriser les récits des medias. Lors de la découverte du corps du petit Aylan il y a eu un bref moment de compassion.

Quand le squat de Belleville a été évacué, Emmaüs a pris les réfugiés en centre d’hébergement d’urgence. Des activités ont été créées. C’est une structure positive.Cela se passe mieux aujourd’hui parce que la greffe prend entre les communautés.En Allemagne, il y a le problème de l’Allemagne de l’Est peu encline à recevoir des migrants.Il faut tenir ensemble un discours d’accueil. Au Lycée voisin, la proviseure a parlé de l’accueil des migrants aux jeunes.

(Monique Chaïbi)