s151012141417Mohammed AÏSSAOUI – « L’étoile jaune et le croissant » (éd. Gallimard), 2012 / folio 2014. Le livre-enquête de Mohammed Aïssaoui tourne autour d’un mystère : Kaddour Benghabrit, fondateur de la Mosquée de Paris et Recteur de la Grande Mosquée durant la Seconde Guerre mondiale, aurait-il sauvé des Juifs entre 1940 et 1944 ? Si cela était prouvé, il pourrait ainsi devenir le premier Arabe consacré « Juste parmi les Nations » par le mémorial de Yad Vashem. Personnage original et ambigu, Si Kaddour Benghabrit fascine l’auteur : grand dignitaire religieux, mais aussi artiste (il est l’auteur d’un livre libertin), intellectuel, amateur d’art et de théâtre (il a sauvé le chanteur Salim Halali) ; la complexité du personnage interroge. Mohammed Aïssaoui mène le lecteur au coeur de son enquête, à la façon d’un Sherlock Holmes intransigeant, il a suivi toutes les pistes possibles (de Paris à Oran en passant par Jérusalem, des Archives nationales aux archives des RG, sur les forums, dans les maisons de retraites) mais les témoins sont de plus en plus rares et peu de documents écrits existent.

L’auteur a interrogé, fouillé les archives publiques et personnelles. Les plus grands ont témoigné (Élie Wiesel, Serge Klarsfeld, le cinéaste Derri Berkani), mais la parole est aussi donnée aux anonymes (la fille et l’arrière-petit-fils de Si Kaddour Benghabrit ou encore le fils d’une infirmière juive que le Recteur aurait contribué à sauvé) ainsi qu’à d’autres voix auxquelles on ne s’attendait pas (Philippe Bouvard, dont la mère était amie avec le Recteur, et dont le père adoptif a aussi bénéficié de son appui).  Seul Dalil Boubakeur, actuel Recteur de la Mosquée de Paris, est réticent à donner des informations, prétextant un manque d’archives à consulter. A défaut de pouvoir faire de Si Kaddour Benghabrit le premier Arabe consacré « Juste parmi les nations », l’enquête de Mohammed Aïssaoui reste néanmoins un document inédit sur les liens possibles entre Arabes et Juifs durant l’Occupation, un formidable message d’espoir. Le dernier mot revient à Élie Wiesel, qui encouragea l’auteur par cette phrase symbolique, donnant toute sa dimension à l’ouvrage : « Celui qui écoute le témoin devient témoin à son tour ».