Portraits de femmes au Levant

 

Table ronde au MODEL (auditorium), vendredi 8 février 2019 (15 h 15 – 16 h 15)

 Modérée par Timour MUHIDINE, avec

  • Darina AL JOUNDI (actrice, metteuse en scène) pour Prisonnière du Levant (Grasset, coll. « Nos héroïnes », un essai sur May Ziadé
  • Cécile CHOMBARD-GAUDIN (CNRS) pour L’Orient dévoilé. Sur les traces de Myriam Harry (éditions Turquoise, coll. « Le Temps des femmes »)
  • René OTAYEK (CNRS) pour Les Abricots de Baalbeck (éditions noirblancetc…), une histoire familiale.

Darina Al Joundi

May Ziadé est souvent citée comme celle qui a fait connaître dans le monde arabe Khalil Gibran, avec qui elle a entretenu une longue correspondance. Mais elle est aussi poétesse et féministe engagée ; elle tient un salon littéraire au Caire. Ses biographies sont souvent lacunaires ; en particulier elles occultent l’internement dont elle a été la victime quand, dépressive, elle a été enfermée par sa famille pendant plusieurs mois dans un asile d’aliénés. Le sort de May Ziadé résonne fortement pour D. El Joundi, qui a été elle-même internée en 2001. Écrire ce livre a été sa bouée de sauvetage contre la rage et la détresse.

Cécile Chombard-Gaudin

Elle a voulu écrire la biographie intellectuelle de Myriam Harry – très oubliée alors qu’en 1904 le prix Femina a été créé pour elle, pour son roman La Conquête de Jérusalem(le jury Goncourt ne voulait pas décerner son prix « à un jupon »), qui a connu un grand succès entre les deux guerres. De son vrai nom Maria Schapira, elle est née à Jérusalem en 1869, d’un père juif de Kiev converti au protestantisme et d’une mère luthérienne stricte. Elle parle plusieurs langues mais elle veut devenir écrivain en français.

En France, elle est considérée comme la Levantine, à cause de son accent, de son originalité et de son talent de conteuse. Elle publie beaucoup : récits de voyages et surtout des romans pour un lectorat féminin. À partir de 1920, pendant le mandat sur la Syrie et le Liban, elle fait de nombreux reportages (elle rencontre par exemple le roi Fayçal d’Arabie) : elle décrit, rapporte, mais ne prend pas de position politique.

On la compare à Pierre Loti ; d’ailleurs, ils s’admirent mutuellement et développent une camaraderie « en bédouinerie ». Mais, pour elle, Jérusalem, c’est sonpays. Bien intégrée dans les milieux littéraires parisiens, elle se sent cependant toujours de « là-bas ». Son grand thème, c’est l’impossibilité de l’amour heureux entre deux personnes de 2 cultures différentes. C’est une femme très indépendante – qui a vécu de sa plume. Elle écrit beaucoup sur les femmes, sans être féministe.

René Otayek

Il raconte l’histoire de sa grand-mère maternelle, Évelyne, née chrétienne en Palestine. C’est une femme ordinaire dans une époque extraordinaire. Elle est issue d’une famille grecque émigrée à Alep, et qui a longtemps vécu à Saint-Jean d’Acre, proche du cruel pacha qui y régnait. Dans sa famille, il y a eu au XIXesiècle, plusieurs consuls de puissances européennes. Elle a connu le déclin de l’empire ottoman et le partage colonial franco-britannique, le projet sioniste et la création d’Israël. Elle est morte en 1992, après une vie d’exils : après Saint-Jean d’Acre, Jaffa, Le Caire, le Liban..

Écrire ce livre a été l’occasion pour R. Otayek de revisiter l’histoire du Proche-Orient – et de saisir combien l’actualité du Proche-Orient est la conséquence de ce XIXesiècle. Le Levant de cette époque est un monde ouvert, marqué par la fluidité des circulations ; l’empire ottoman est un espace continu sans frontières ; l’histoire de cette famille le montre bien. Le Levantin, c’est quelqu’un qui construit des passerelles.

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Cette table ronde, réunissant des gens passionnés par l’héroïne à laquelle ils se sont consacrés était bien intéressante. On peut regretter cependant l’absence, faute de temps, de dialogue entre eux et avec le public.

(Agnès Spiquel)