Editorial

La rĂ©ception de cette nouvelle Lettre n’a pas Ă©tĂ© perturbĂ©e par l’évĂ©nement de cette fin de mois qui est, vous l’avez compris, le Maghreb des livres Ă  l’HĂŽtel de ville de Paris les 28 et 29 octobre. Il est probable que cet afflux considĂ©rable de livres aura des effets (heureux bien sĂ»r) sur la Lettre suivante, la 82.

Pour cette fois, et en attendant l’afflux annoncĂ©, on va commencer par trois films, qui mĂ©ritent tout notre intĂ©rĂȘt : 2 films de fiction, « Abdelinho » d’un autre Ayoub marocain Ă  ce jour moins connu que son frĂšre, de Nadir MoknĂšche dĂ©sormais un maĂźtre du cinĂ©ma maghrĂ©bin aprĂšs de nombreuses rĂ©alisations, et le remarquable documentaire de Franssou Prenant sur la conquĂȘte de l’AlgĂ©rie mais si l’on peut dire, Ă  la fois passĂ© et prĂ©sent.

Nous vous parlons aussi de livres Ă©videmment : les EnsoleillĂ©s qui iront au Maghreb des Livres retrouveront certains de ceux dont nous leur avons dĂ©jĂ  parlĂ©, et d’autres encore, comme ceux dont nous parlons dans cette Lettre 81 :

-Parmi les Ɠuvres de fiction et de crĂ©ation, 2 exemples assez piquants par leur originalitĂ©, « Terminus Babel » de Mustapha Benfodil et « Mon fantĂŽme » de Mehdi Ouraoui.

-IntitulĂ© « Nancy-Kabylie » le livre de DorothĂ©e-Myriam Kellou fait bien plus que de parcourir cet axe gĂ©ographique, il est un travail sur la mĂ©moire et une rĂ©flexion sur l’écriture.

-Nous vous invitons Ă  lire des publications indispensables sur les grands piliers la littĂ©rature maghrĂ©bine, le journal de Jean SĂ©nac, pour l’anniversaire de son assassinat en aoĂ»t 1983, l’hommage de MaĂŻssa Bey Ă  celle en qui elle voit son modĂšle et son guide, Assia Djebar, et toujours prĂ©sents parmi nous grĂące Ă  de nombreux travaux critiques, Mohammed Dib, Ă©voquĂ© cette fois Ă  travers un livre de Charles Bonn

La lettre 81 a le plaisir de rĂ©vĂ©ler une nouveautĂ© qui illustre la crĂ©ativitĂ© propre Ă  Coup de Soleil : il s’est crĂ©Ă© une association des Ă©crivains qui font partie de ses membres et grĂące Ă  Annie Barranco, nous publions un exemple du travail qui pourra ĂȘtre fait au sein de ce groupe.

A cela s’ajoute 2 notes de prĂ©sentation pour signaler Ă  nos lecteurs l’utilitĂ© du livre de Michel Pierre et les manifestations en cours pour l’anniversaire de la Marche des Beurs de 1983.

GrĂące Ă  Michel Wilson, vous dĂ©couvrirez une BD sur le sociologue Pierre Bourdieu, peut-ĂȘtre inattendue et non moins prĂ©cieuse.

Denise Brahimi

 

 

 

 

 

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Parution du 10Ú épisode du podcast « Et de nous qui se souviendra ? », le 16 novembre 2023. 

« Pierre-Henri, Saint-EugÚne », le 10Úme épisode du Podcast Et de nous qui se souviendra est en ligne.

https://smartlink.ausha.co/et-de-nous-qui-se-souviendra/pierre-henri-saint-eugene

« C’est Ă  la façon dont elle respecte ses anciens qu’on reconnait une grande nation » affirme Pierre-Henri, le Pied-Noir marseillais de Notre-Dame d’Afrique. Celui qui a menĂ© croisade pour la rĂ©habilitation des cimetiĂšres français en AlgĂ©rie analyse les raisons d’un Ă©chec. Il nous parle aussi de ses rĂ©ussites, et notamment le retour des Pieds-Noirs en AlgĂ©rie. De ses nombreuses initiatives de coopĂ©ration et de rapprochement des peuples, menĂ©es Ă  la maniĂšre d’un entrepreneur, il retire une vision claire des relations franco-algĂ©riennes depuis l’indĂ©pendance de l’AlgĂ©rie.

« Et de nous qui se souviendra ? », crĂ©Ă© et produit par Nicole Guidicelli, auteure indĂ©pendante, est un podcast qui donne la parole aux derniers pieds-noirs. Il est en ligne sur toutes les plateformes d’écoute et de tĂ©lĂ©chargement (Google Podcast, Apple Podcast, Spotify, Deezer
). 

Hommage Ă  une communautĂ© en voie de disparition, il a pour objectif d’aider les pieds-noirs Ă  transmettre. Il s’adresse Ă  leurs descendants, aux enseignants qui souhaitent parler de la guerre d’AlgĂ©rie, et plus largement Ă  tous ceux qui s’intĂ©ressent aux exils et Ă  la rĂ©silience. Il interroge l’exil comme acte fondateur ainsi que les questions d’identitĂ©, d’invisibilitĂ© et d’intĂ©gration. Il pose Ă©galement la question de la transmission et de la mĂ©moire des pieds-noirs.

Le projet a dĂ©marrĂ© en janvier 2022, annĂ©e de commĂ©moration du 60e anniversaire de la fin de la guerre d’AlgĂ©rie.

Pour écouter les épisodes déjà parus : https://podcast.ausha.co/et-de-nous-qui-se-souviendra

 

« TERMINUS BABEL » par Mustapha Benfodil, roman, éditions Macula, 2023
Mustapha Benfodil, journaliste Ă  Alger, Ă©crit dans des genres littĂ©raires variĂ©s depuis l’an 2000 et pour ceux qui le dĂ©couvriraient avec « Terminus Babel », la force de son attachement aux mots apparaĂźtrait d’emblĂ©e comme une Ă©vidence rĂ©jouissante ; tant il est vrai qu’on est pris continĂ»ment pendant tout le livre par un flot incessant de paroles qui ne cesse de submerger le lecteur dans une histoire
 ou une absence d’histoire 
absolument Ă©poustouflante : ce mot peu acadĂ©mique voudrait dire Ă  quel point le lecteur perd son souffle Ă  suivre cet Ă©tonnant mĂ©lange de fantaisie et de culture.
D’ailleurs on n’a pas le choix de suivre ou de ne pas suivre, nous sommes embarquĂ©s ! L’auteur nous met d’emblĂ©e en prĂ©sence d’une invention certes peu commune, concernant le personnage principal de son livre, qui en est le narrateur Ă  la premiĂšre personne : ce n’est pas une crĂ©ature humaine mais un livre, un livre qui parle et qui se rĂ©vĂšle mĂȘme trĂšs bavard car il a beaucoup Ă  dire.
Ce livre qui s’appelle « K’tab » (c’est le mĂȘme sens en arabe) est Ă©videmment l’expression d’un auteur, qui ne peut manquer d’ĂȘtre prĂ©sent et de prendre lui aussi la parole pour raconter sa vie et celle de ses proches, sa femme et sa fille et c’est pour Mustapha Benfodil un excellent moyen de montrer l’écart entre ce que dit un livre et ce qu’on a coutume d’appeler la rĂ©alitĂ©. Cet Ă©cart existe toujours, mĂȘme dans les romans supposĂ©s trĂšs autobiographiques, d‘oĂč peut venir en effet l’idĂ©e que le livre comme c’est le cas ici a une sorte d‘autonomie
 pour le meilleur et pour le pire. Le pire, toujours en vertu de l’invention fantaisiste qui est Ă  l’origine de « Terminus Babel » est que ce malheureux «K’tab », Ă  la suite d’une mĂ©saventure domestique, a complĂ©tement cessĂ© d’ĂȘtre prĂ©sentable et convoitĂ© comme il l’était auparavant par d’éventuels lecteurs et lectrices ; son apparence devenue dĂ©fectueuse en a fait un objet de rebut, et le voilĂ  donc condamnĂ© au pilon, lieu oĂč sont jetĂ©s tous les livres vouĂ©s pour une raison quelconque Ă  la destruction. Il faut ĂȘtre amateur de livres au point oĂč l’est Mustapha Benfodil pour ressentir, dans sa propre chair dirait-on, la tristesse voire l’horreur de cette condamnation : dĂ©truire un livre, n’est-il pas un acte criminel, et qui pourtant, par le procĂ©dĂ© de la mise au pilon se pratique couramment comme la chose la plus normale du monde sans susciter la moindre indignation ? L’affabulation principale qui constitue l’intrigue de « Terminus Babel » est que dans ce cas singulier, la menace va ĂȘtre dĂ©jouĂ©e et qu’un millier de livres ou presque auxquels celui-ci appartient vont ĂȘtre Ă©pargnĂ©s, au moins provisoirement, Ă©chappant ainsi Ă  l’affreux broyage qui semblait ĂȘtre leur immĂ©diate destinĂ©e.
Evidemment Mustapha Benfodil choisit selon ses goĂ»ts et affinitĂ©s les autres livres et les autres auteurs qui partageront le sauvetage dont bĂ©nĂ©ficie »K’tab », le choix est d’ailleurs vaste car l’auteur a beaucoup d’enthousiasme et d’objets d’admiration, on ne peut tous les citer ici, il est probable que lecteurs et lectrices en reconnaĂźtront un certain nombre qui sont aussi les leurs. Mais au-delĂ  de la bibliothĂšque idĂ©ale que chacun se constitue comme prĂ©cieux accompagnement de sa vie, on voit aussi apparaĂźtre l’idĂ©e que ce monde des livres, qu’on peut souhaiter le plus nombreux possible, devrait s’organiser selon une logique qu’il s’agirait d’inventer, mĂȘme si la rigueur requise pour ce travail n’est pas celle de la rationalitĂ©.
Le rĂȘve de cette bibliothĂšque Ă  la fois exhaustive et pourtant infinie est empruntĂ© Ă  un auteur que tous les amoureux fervents (et quasi mystiques) des livres se reconnaissent sans doute pour maĂźtre, l’Argentin Jorge Luis BorgĂšs qui travailla Ă  la bibliothĂšque de Buenos Aires et dont l’Ɠuvre la plus connue est une nouvelle qui s’intitule justement « La bibliothĂšque de Babel » ; elle est de 1941, et incluse dans son recueil« Fictions ». L’univers du livre s’y avĂšre vertigineux et propre Ă  susciter les plus Ă©tonnantes imaginations.
Plus proche de lui, en tout cas dans le temps, Mustapha Benfodil se rĂ©fĂšre souvent Ă  un groupement d’écrivains qui s’est donnĂ© le nom d’Oulipo : ouvroir de littĂ©rature potentielle. A son origine se trouvent des Ă©crivains et poĂštes tels que Raymond Queneau, un autre nom cĂ©lĂšbre parmi les participants est celui de Georges PĂ©rec et s’il y a une idĂ©e Ă  retenir de celles qu’ils se font sur la littĂ©rature, c’est que celle-ci ne peut naĂźtre que de contraintes, dĂ©finies par les Ă©crivains eux-mĂȘmes, qui choisissent de se les imposer.
Les patronages et affinitĂ©s qu’il se reconnaĂźt font que Mustapha Benfodil, malgrĂ© les difficultĂ©s (le mot est faible) de la vie quotidienne Ă  Alger, est loin de se sentir seul mais au contraire trĂšs entourĂ©, et l’un des charmes qu’il nous fait Ă©prouver est qu’il concilie fort bien un double aspect : d’une part, il est trĂšs insĂ©rĂ© dans la vie quotidienne d’Alger et vante pour des raisons trĂšs concrĂštes plusieurs des quartiers dans lesquels il a Ă©tĂ© amenĂ© Ă  vivre, d’autre part, il est complĂ©tement ouvert sur le monde, en droit sans limite, et rien de ce qui s’y Ă©crit ne lui est Ă©tranger. MalgrĂ© le fait qu’il reste assez discret sur les tribulations qu’il lui faut affronter, on en devine la difficultĂ©, mais son Ă©criture n’est jamais une plainte, elle est au contraire extrĂȘmement stimulante et doit aux livres, Ă  tous les livres, l’enthousiasme qui s’en dĂ©gage. Il est l’inventeur, pour lui et pour nous, d’une sorte de « Babel Alger ».
Denise Brahimi

« MON FANTÔME » par Mehdi Ouraoui, roman, Ă©ditions Fayard, 2023
Ce livre est le premier roman de son auteur, qui pour autant n’est pas un dĂ©butant dans le domaine de l’action (politique) ni dans celui de la rĂ©flexion, ayant largement dĂ©passĂ© la quarantaine mĂȘme s’il n’est pas encore cinquantenaire comme le personnage principal et narrateur du roman. Celui-ci s’appelle Mehdi comme l’auteur mais pour autant on ne saurait parler d’un roman autobiographique, ce qui est une premiĂšre singularitĂ© dans la littĂ©rature Ă©crite en France par des gens qu’on dĂ©signe parfois comme « de la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration ». Cette formule veut dire que leurs parents Ă©taient encore trĂšs proches de leur origine maghrĂ©bine, en sorte qu’eux, leurs enfants, mĂȘme destinĂ©s Ă  une vie complĂštement diffĂ©rente, n’ont pu manquer d’en ĂȘtre partiellement imprĂ©gnĂ©s, et c’est gĂ©nĂ©ralement cela qu’ils veulent raconter.

Chez Mehdi, narrateur du livre, cette imprĂ©gnation est trĂšs relative, et il ne semble pas dĂ©sireux d’insister sur la place que cette sorte d’hĂ©ritage a pu tenir dans sa vie ou dans sa personnalitĂ©. ConcrĂštement et dans la vie quotidienne, sa part française semble ĂȘtre plus importante : quoique plus ou moins sĂ©parĂ© d’elle il a Ă©tĂ© mariĂ© avec une personne qui porte un prĂ©nom français CĂ©cile, avec laquelle il a eu trois enfants ; l’un d’eux certes est prĂ©nommĂ© Jalil mais il vit aux Etats-Unis et sa culture ainsi qu’une partie de son langage sont amĂ©ricaines, non maghrĂ©bines. La derniĂšre de leurs enfants, Norah, qui n’est pas encore vraiment dĂ©tachĂ©e du noyau familial, semble un parfait exemple de ce que sont en France les filles de sa gĂ©nĂ©ration et Mehdi n’est sĂ»rement pas le genre de pĂšre Ă  vouloir lui inculquer quelques bribes, mĂȘme infimes, de ce qui pourrait la rattacher aux ancĂȘtres familiaux. Comme le livre donne l’occasion de le voir, Mehdi est peut-ĂȘtre psychologiquement un peu perturbĂ©, il commet sans doute des erreurs ou plus simplement des gaffes, mais ce n’est sĂ»rement pas par l’effet d’un attachement obstinĂ© Ă  la tradition algĂ©rienne, le problĂšme de la double culture ou de la double personnalitĂ© Ă©tant bel et bien absent de ce roman. Telle est son originalitĂ©.
Mais alors, d’oĂč vient le dĂ©rapage qu’on sera finalement amenĂ© Ă  constater chez Mehdi et qui s’avĂšre, Ă  un moment donnĂ©, vĂ©ritablement pathologique, puisqu’il faut recourir Ă  un Ă©tablissement et Ă  une mĂ©decine spĂ©cialisĂ©s pour le tirer d’affaire (sans trop de difficultĂ© semble-t-il )?
Le fantĂŽme dont il est question dans le titre n’y est sans doute pas pour rien, c’est avec lui que le livre commence, et il ne disparaĂźtra qu’au dĂ©nouement. C’est donc Ă  une sorte de long et bizarre fantasme qu’il nous est donnĂ© d’assister et on se dit que l’évĂ©nement qui est Ă  son origine a dĂ» ĂȘtre gravement traumatisant pour Mehdi bien que de traumatisme il ne parle pas lui-mĂȘme. L’évĂ©nement en question est un fait historique bien rĂ©el, il s’agit de la mort du musicien Rachid Taha, trĂšs connu dans les milieux du rock et du raĂŻ et dont la mort prĂ©maturĂ©e alors qu’il n’avait pas soixante ans a certainement produit un choc, surtout chez ceux qui ne le sachant pas atteint d’une maladie rare et grave en ont Ă©tĂ© trĂšs surpris.
Le roman de Mehdi Ouraoui est arrimĂ© Ă  la date de cette mort, qui a eu lieu en septembre 2018 mais, fait encore bien plus surprenant que celui-lĂ , Rachid Taha rĂ©apparaĂźt trois mois plus tard en tout cas dans la vie de Mehdi qui va dĂ©sormais ĂȘtre accompagnĂ© en secret par le fantĂŽme amical de ce mort redevenu vivant. Rachid et Mehdi ont de frĂ©quents dialogues, ce qui d’ailleurs fait partie des Ă©trangetĂ©s que l’entourage de Mehdi ne va pas tarder Ă  remarquer avec inquiĂ©tude. Pour les autres, Mehdi est quelqu’un qui parle tout seul, ce qui Ă©videmment n’est pas bon signe !
Sans doute pour essayer d’encadrer ce que nous avons dĂ©signĂ© par le mot de dĂ©rapage (difficile pour les non professionnels de se risquer dans le vocabulaire psychiatrique)Mehdi prĂ©sente cette histoire bizarre avec mainte prĂ©cision de date, et c’est ainsi que nous commençons, le 26 dĂ©cembre 2018, par la premiĂšre apparition de Rachid Taha aux cĂŽtĂ©s de Mehdi. Dans le rĂ©cit que nous lisons, les choses se passent tout naturellement et personne, ni l’auteur ni ses personnages ni mĂȘme les lecteurs n’a jamais le sentiment de se mouvoir en plein fantastique : encore une habiletĂ© ou une ruse de l’auteur qui se garde bien de prĂ©venir son brave lecteur du type d’aventure dans lequel il l’a embarquĂ©; et c’est ainsi que tout le monde se retrouve, le 15 novembre 2019 Ă  l’institut de santĂ© mentale de La VerriĂšre, juste au moment oĂč il semble bien que Mehdi soit devenu capable d’en partir, aprĂšs y avoir sĂ©journĂ© quelque temps.
On comprend alors quelle sorte d’épisode vient de s’insĂ©rer dans la vie de Mehdi, non sans l’aide du mĂ©decin lui-mĂȘme qui juge que son patient mĂ©rite quelque explication : « Votre comportement de ces derniĂšres semaines a suscitĂ©, disons, de l’inquiĂ©tude, en tout cas suffisamment d’incomprĂ©hension chez vos proches pour les conduire Ă  solliciter une aide extĂ©rieure ».
Le lecteur lui aussi a droit Ă  un complĂ©ment d’information qui n’est pas des moindres mais qu’on se gardera bien de divulguer ici : il s’avĂšre que l’auteur est expert dans la manipulation et les rebonds de l’intrigue romanesque. Tout ce qu’on avait lu avec une sorte de bonne foi naĂŻve prend finalement un sens plus subtil : comme des somnambules, nous avons longĂ© des prĂ©cipices et ne le savions pas.
Denise Brahimi

 

« UN CRI QUE LE SOLEIL DEVORE » par Jean Sénac, 1942-1973 , Carnets, notes et réflexions, éditions du Seuil et El Kalima, août 2023
La date de parution de ce livre est chargĂ©e de signification. C’est l’exact anniversaire de l’assassinat en AlgĂ©rie du poĂšte Jean SĂ©nac. Les conditions exactes de sa mort n’ont jamais Ă©tĂ© Ă©lucidĂ©es. Il avait 47 ans, Ă©tant nĂ© en 1926 Ă  BĂ©ni-Saf en Oranie. C’est donc pour le cinquantenaire de sa mort que le gros volume dont il est ici question a Ă©tĂ© publiĂ©. CommencĂ© en 1942, alors que SĂ©nac avait 16 ans et poursuivi jusqu’au 20 aoĂ»t 1973 on peut dire que ce journal recouvre Ă  peu prĂšs tout l’itinĂ©raire de sa vie, dans l’ordre chronologique, mais de maniĂšre trĂšs inĂ©gale car certaines annĂ©es sont trĂšs remplies alors que d’autres sont rĂ©duites Ă  presque rien. Et ce qui ne frappe pas moins est le caractĂšre trĂšs hĂ©tĂ©rogĂšne des fragments qui le constituent, beaucoup d’entre eux n’ayant certainement pas Ă©tĂ© prĂ©vus pour une publication. Le rĂ©sultat est qu’on trouve aussi bien des passages narratifs, plutĂŽt courts, des poĂšmes souvent incomplets et inaboutis mais qui parfois ont Ă©tĂ© repris pour la publication dans d’autres recueils, des Ă©vocations de trĂšs nombreux personnages, parfois rĂ©duits Ă  leurs seuls noms, ou mĂȘme Ă  des initiales, des bribes d’écriture sur des supports tout Ă  fait inattendus et cependant rĂ©cupĂ©rĂ©s grĂące au travail du professeur Guy Dugas qui a Ă©tabli cette Ă©dition et l’a accompagnĂ©e de trĂšs nombreuses notes.
Les connaisseurs de la vie et de l’Ɠuvre de Jean SĂ©nac trouveront dans ce livre toute sorte de complĂ©ments Ă  ce qu’ils savent et beaucoup de prĂ©cisions qu’ils ignoraient peut-ĂȘtre. D’autres tireront des renseignements inclus dans ces 800 pages une sorte de familiaritĂ© avec leur auteur et sans doute aussi une empathie avec lui, car la forme trĂšs souple de ces notes variĂ©es donne le sentiment qu’on le suit dans le dĂ©sordre mĂȘme de sa vie, traversant comme lui des hauts et des bas mais surtout des bas, souvent trĂšs douloureux, voire suicidaires. On comprend qu’il lui fallait se battre contre un fond dĂ©pressif accru par les dĂ©sordres de son mode de vie. MĂȘme s’il n’est pas du genre Ă  se plaindre de son corps, ne serait-ce qu’en raison des jouissances qu’il en tire, on a le sentiment qu’il en a souvent abusĂ©, en le nourrissant peu ou mal, et en ne lui assurant pas assez de repos, ne serait-ce que sous la simple forme du sommeil.
De toute façon, il apparaĂźt Ă  la lecture de ce journal qu’une sĂ©rie de circonstances difficiles ne le laisse jamais en repos. Il commence son journal d’écolier encore sage en pleine deuxiĂšme guerre mondiale, puis vient le moment oĂč les troubles de l’adolescence se doublent chez lui de constats ou en tout cas de prĂ©monitions, forcĂ©ment angoissantes, concernant les goĂ»ts homosexuels qu’il dĂ©couvre en lui. Car il est profondĂ©ment chrĂ©tien et obsĂ©dĂ© par l’idĂ©e du « vice ». Il se dĂ©couvre un autre goĂ»t, tout aussi irrĂ©pressible, pour la poĂ©sie, et il s’adonne Ă  de trĂšs nombreuses lectures, qui l’entretiennent dans un Ă©tat constant d’émotion ou d’hyper-sensibilitĂ©. D’autant qu’avec le goĂ»t de la littĂ©rature, apparaĂźt le dĂ©sir d’écrire et de publier une Ɠuvre personnelle, ce qui n’est pas une mince affaire. La passion politique ne lui vient qu’assez lentement ; elle prend chez lui la forme d’une Ă©motion, mĂ©lange de douleur partagĂ©e et d’indignation pour ce que subissent les pauvres, les humiliĂ©s, et la masse du peuple arabe —ceux qu’on n’appelait pas encore couramment les colonisĂ©s, mais c’est pourtant bien la situation coloniale qui est devenue insupportable Ă  SĂ©nac.
Il passe la pĂ©riode de la guerre Ă  Paris et en relation avec les membres du FLN, dont certains sont venus en France comme Ă©tudiants. SĂ©nac fait le lien entre eux et Camus qui lui aussi vit Ă  Paris avec sa famille, travaillant pour les Ă©ditions Gallimard dont il est la vedette; mais chacun sait que cette liaison entre les deux hommes fut aussi intense que douloureuse, en raison de leurs diffĂ©rents politiques et des reproches virulents faits par SĂ©nac Ă  Camus de n’ĂȘtre pas indĂ©pendantiste. Les notes souvent trĂšs brĂšves recueillies dans ce journal intime atypique, spasmodique et dĂ©chirant, laissent certes beaucoup Ă  deviner, mais elles en donnent les moyens.
C’est d’ailleurs surtout aprĂšs l’indĂ©pendance et le retour de SĂ©nac Ă  Alger que le sentiment de traverser avec lui des hauts et des bas est particuliĂšrement perturbant. Les trois ou quatre premiĂšres annĂ©es de l’indĂ©pendance sont sans doute la pĂ©riode la plus faste de sa vie et celle oĂč il est le mieux intĂ©grĂ© Ă  une vie professionnelle et sociale, donnant la preuve qu’il est parfaitement capable d’occuper les fonctions qu’on lui confie lorsqu’elles lui agrĂ©ent. Le moment oĂč cet Ă©tat bienheureux ou presque commence Ă  se dĂ©grader, malgrĂ© la discrĂ©tion dont ses notes font preuve, donne le sentiment que SĂ©nac est alors un homme dĂ©truit et de plus en plus, qui marche vers sa propre fin de maniĂšre irrĂ©versible. Les mentions qu’il fait de ses occupations ou rencontres sont d’une sĂ©cheresse poignante, on dirait que le souffle de la vie s’est retirĂ© de cet ĂȘtre qui fut si vibrant. Pour ne prendre qu’un exemple de ce que fut ce cheminement tragique, on peut comparer la ravissante Ă©criture si soignĂ©e de ce que furent ses premiĂšres annĂ©es d’adolescence (par exemple un « poĂšme-priĂšre » Ă©crit de sa main en 1943, p.105) avec le terrible et sauvage graphisme, comme dĂ©sarticulĂ©, qui Ă©tait finalement devenu le sien (p.795). Un homme broyĂ© par la vie, cela semble un clichĂ©, et pourtant

Denise Brahimi

 « LES ROMANS ET LES NOUVELLES TARDIFS DE MOHAMED DIB OU LA THEATRALISATION DE LA PAROLE » par Charles Bonn, Honoré Champion, 2023
Il s’agit d’une rĂ©flexion personnelle inspirĂ©e Ă  l’auteur par ses nombreux travaux universitaires sur le grand auteur algĂ©rien Mohammed Dib disparu en 2003, Ă  l’ñge de 83 ans. L’Ɠuvre de cet Ă©crivain est considĂ©rable, elle comporte principalement des romans mais aussi de la poĂ©sie, beaucoup de ses livres sont d’une lecture jugĂ©e difficile et il est Ă©videmment trĂšs prĂ©cieux d’ĂȘtre guidĂ© pour l’aborder par un connaisseur Ă©clairĂ©, qui la frĂ©quente de longue date. Tel est le cas de Charles Bonn qui a choisi cette fois d’analyser l’aspect le moins connu de l’auteur, ses textes narratifs tardifs, sans exclure pour autant de revenir Ă  des Ɠuvres plus anciennes, lĂ  oĂč se trouve l’origine de certaines de ses thĂ©matiques.
Charles Bonn a rĂ©ussi ce qui constitue un dĂ©fi difficile pour les chercheurs, concilier la prĂ©sentation thĂ©matique d’une Ɠuvre littĂ©raire dont le parcours est souvent fort complexe avec l’ordre chronologique de son Ă©criture
ou de sa publication, ce qui n’est pas forcĂ©ment la mĂȘme chose. Ce type de travail implique Ă©videmment une longue frĂ©quentation de l’auteur et de l’Ɠuvre.
L’étude qu’il nous livre recoupe une pĂ©riode assez longue au cours de laquelle se succĂšdent de nombreuses Ɠuvres, romans ou recueils de nouvelles et dont on peut fixer le dĂ©but Ă  1977, date de publication du roman Habel. A l’autre extrĂ©mitĂ© du parcours, le critique va mĂȘme au-delĂ  de la mort de son auteur puisqu’il englobe dans ses investigations un recueil posthume paru en 2006, « LaĂ«zza » ; voilĂ  qui au total, reprĂ©sente une bonne douzaine de livres, pour ne pas reparler de quelques retours en arriĂšre jusqu’en 1962, cette date n’étant d’ailleurs pas le dĂ©but des publications de Mohammed Dib, qui avaient commencĂ© dix ans plus tĂŽt.
La difficultĂ© des textes et des analyses qu’ils induisent est compensĂ©e par la trĂšs grande clartĂ© de la prĂ©sentation adoptĂ©e par Charles Bonn. Il la partage en 4 parties, qui sont thĂ©matiques, et dans chacune d’elles il examine un certain nombre de livres, revenant parfois et mĂȘme souvent sur les mĂȘmes mais pour les reprendre d’un point de vue Ă  chaque fois diffĂ©rent. On est d’autant plus fermement guidĂ© que le critique a d’emblĂ©e dĂ©fini son objet et s’y tient continĂ»ment, usant de variations sur les formules qui sont les siennes et qui deviennent familiĂšres au lecteur mĂȘme si elles lui paraissaient d’abord dĂ©routantes (avant qu’il ne les ait si l’on ose dire apprivoisĂ©es !).
Il en va ainsi pour celle qui figure dans le titre du livre, une fois son contenu indiquĂ©. « La thĂ©Ăątralisation de la parole » est effectivement une formule qui fait retour Ă  de trĂšs nombreux moments, en sorte qu’elle ne peut faire l’objet, d’emblĂ©e, d’une seule et unique dĂ©finition mais s’enrichit, tout au long de l’essai, de celles qui lui sont progressivement donnĂ©es au fil des chapitres et des Ɠuvres commentĂ©es.
En fait, le mot employĂ© par Charles Bonn a valeur d’une mise en garde, qui n’est ni partielle ni limitĂ©e dans le temps mais revient au contraire comme un leitmotiv absolu et constant.
Nous ne devons pas nous imaginer, mĂȘme implicitement, que le rĂ©cit de Dib consiste Ă  recouvrir par des mots une rĂ©alitĂ© qui existerait en dehors de lui. Si rĂ©alitĂ© il y a, elle est d’une autre nature, qu’on ne saurait justement dĂ©finir, et les mots ne nous y donnent pas accĂšs. Chronologiquement, plus on avance dans l’Ɠuvre de l’écrivain plus on se rend compte qu’il n’y a rien Ă  dĂ©couvrir derriĂšre ou sous les mots, ceux-ci sont une sorte de monstration ou de projection (comme sur une scĂšne de thĂ©Ăątre), mais ils ne peuvent dire autre chose sinon qu’il n’y a pas de sens Ă  chercher et que nous sommes confrontĂ©s par eux Ă  une seule chose, qui est l’absence de sens. Cette formule pourrait n’ĂȘtre qu’une sorte de jeu de mots, mais elle est en fait une vĂ©ritĂ© fondamentale, et les quatre parties de l’étude montrent en lui donnant Ă  chaque fois des noms un peu diffĂ©rents que cette absence est le vĂ©ritable moteur du rĂ©cit.
Charles Bonn met d’abord la thĂ©Ăątralisation en rapport avec « l’in-sensé » qu’il Ă©crit de cette maniĂšre, en deux mots sĂ©parĂ©s, pour souligner les rĂ©sultats nĂ©gatifs de la quĂȘte du sens—dont Mohammed Dib n’ignore Ă©videmment pas Ă  quel point elle est spontanĂ©e, et pourtant vaine, chez ses lecteurs. Puis il substitue Ă  l’in-sensĂ© une autre catĂ©gorie ayant valeur de dĂ©finition, c’est le « non-dit  explicite », tout ce que l’auteur ne nous dit pas (quelle est par exemple l’identitĂ© du narrateur) et dont le manque joue pourtant un rĂŽle actif dans notre lecture, en nous interdisant de croire que rĂ©cit et rĂ©alitĂ© sont une seule et mĂȘme chose. Pour la troisiĂšme partie de son essai, le chercheur utilise une expression, « la dissĂ©mination gĂ©nĂ©rique », qui lui permet d’aborder des textes vraiment tardifs, publiĂ©s autour de l’an 2000, oĂč l’on peut constater que les genres littĂ©raires sont pour le moins dĂ©stabilisĂ©s—d’autant qu’il s’agit souvent de nouvelles qui mĂȘme lorsqu’elles sont regroupĂ©es sous le titre « roman » impliquent une recherche hasardeuse de tout ce qui pourrait constituer une unitĂ© relative du rĂ©cit. Et finalement dans sa quatriĂšme et derniĂšre partie, Charles Bonn montre comment la mise en scĂšne de la parole implique un en-deçà du langage, qu’il voit apparaĂźtre dĂšs les romans plus anciens de Dib, ceux des annĂ©es 60. L’absence de rĂ©ponses et de repĂšres dans les derniers textes renvoie plus que jamais au pouvoir de la parole, autre maniĂšre de dire que celle-ci ne peut ĂȘtre que « thĂ©ĂątralisĂ©e ». La quĂȘte toujours insatisfaite d’un sens est le moteur de notre lecture.
Denise Brahimi

 » NANCY-KABYLIE «  de Dorothée-Myriam Kellou, éditions Grasset, 2023

Cette auteure est dĂ©jĂ  connue du public, notamment celui de Coup de soleil, pour avoir rĂ©alisĂ© en 2019 un film intitulĂ© « A Mansourah tu nous as sĂ©parĂ©s » oĂč elle traitait dĂ©jĂ  d’un sujet qu’elle reprend partiellement dans ce livre. Mansourah est un village algĂ©rien oĂč est nĂ© Malek, pĂšre de DorothĂ©e-Myriam. Il fait partie de ceux qui pendant la guerre d’AlgĂ©rie ont Ă©tĂ© « resserrĂ©s », c’est Ă  dire oĂč leur population d’origine a dĂ» faire de la place Ă  celle des villages alentours vidĂ©s par l’armĂ©e française et transformĂ©s en camp de regroupement, dont le nom dit bien de quoi il s’agit. Le but de ce dĂ©placement Ă©tait de couper toute communication entre les populations rurales et les combattants algĂ©riens qui se cachaient alentour dans les maquis. Cependant, du mĂȘme coup les paysans ont Ă©tĂ© privĂ©s de leurs ressources et de tout ce qui constituait leur environnement habituel, et sont devenus complĂštement dĂ©pendants des militaires qui assuraient la vie quotidienne dans les camps. Cette dĂ©structuration des campagnes algĂ©riennes ne pouvait manquer d’avoir des consĂ©quences graves, ce que l’auteure de ce livre essaie de comprendre et de mesurer en confrontant son pĂšre avec le souvenir des Ă©vĂ©nements qu’il a alors subis, notamment sa fuite Ă  la fin de la guerre avec sa famille. Dans la mĂ©moire du pĂšre et pour sa fille, ce sont eux que dĂ©signe, globalement voire symboliquement, le mot « Mansourah ».
Dans « Nancy-Kabylie » ils gardent un rĂŽle important, mais il y est question de beaucoup d’autres choses, souvenirs et rĂ©flexions, en sorte qu’il serait difficile de ranger le livre dans une catĂ©gorie clairement dĂ©finie. Le meilleur moyen de le lire est de se laisser porter par l’auteure Ă  travers une suite de petits chapitres nombreux mais courts qui lui sont l’occasion de pointer ce que rĂ©trospectivement elle juge avoir Ă©tĂ© important pendant la quarantaine d’annĂ©es ou presque qu’elle a maintenant vĂ©cues.
Ce sont des annĂ©es qui ont Ă©tĂ© trĂšs bien remplies, on ne sait s’il faut dire dans l’ordre ou le dĂ©sordre, avec de nombreux dĂ©placements dans l’espace mais aussi une Ă©vidente continuitĂ© dans les recherches poursuivies par la narratrice (on ne sait si on peut aller jusqu’à dire « dans ses obsessions »).
S‘agissant de l’espace, le titre peut ĂȘtre mensonger si interprĂ©tĂ© trop Ă©troitement. Ne dirait-on pas que sa vie a Ă©tĂ© partagĂ©e entre deux lieux, Nancy oĂč elle a vĂ©cu en famille son enfance et son adolescence, et la Kabylie qui est le lieu du pĂšre, plus prĂ©cisĂ©ment Mansourah village de petite Kabylie —ce qu’il faut prĂ©ciser car il y a d’autres lieux de ce nom en AlgĂ©rie. En fait, le rappel de ces deux points qu’on peut dire opposĂ©s dans la mesure oĂč ils n’ont rien de commun lui permet de dĂ©finir une sorte d’axe que sans doute elle a gardĂ© prĂ©sent en elle mentalement, alors mĂȘme qu’elle s’en Ă©cartait pour aller voir ailleurs et parfois y sĂ©journer durablement : l’Egypte, la Palestine, les Etats-unis donnent lieu de sa part Ă  des Ă©vocations prĂ©cises et intĂ©ressantes (et par exemple celle des gens qu’elle y a rencontrĂ©s) qui n’ont rien Ă  voir avec des journaux de voyage (mĂȘme s’il en est qui ne sont pas touristiques au sens superficiel du mot).
Mais s’il est Ă©vident qu’il ne s’en dĂ©gage pas une impression de dispersion ou d’éparpillement gĂ©ographique, c’est pour une raison bien claire et que l’auteure souligne elle-mĂȘme : tout au long de ses dĂ©placements, mĂȘme si le mot « enquĂȘtes » est trop rĂ©ducteur ou trop journalistique pour les dĂ©signer, elle a toujours en tĂȘte une seule et mĂȘme idĂ©e, qui est d’approfondir sa part algĂ©rienne et s’il se peut sa connaissance de l’arabe—mĂȘme s’il s’agit dans chaque pays d’une version diffĂ©rente de cette langue.
Au total, on a l’impression qu’elle progresse et qu’elle rĂ©ussit son imprĂ©gnation, mot plus juste dans son cas qu’intĂ©gration car sa recherche n’est pas identitaire au sens oĂč elle chercherait un lieu unique lui fournissant sa propre dĂ©finition. Sans doute n’a-t-elle pas ignorĂ© cette tentation, ou la tentation de cette recherche, croyant fermement pendant toute une Ă©poque de sa vie que l’AlgĂ©rie Ă©tait le lieu oĂč elle devait s’implanter.
Bien qu’elle ne soit pas une spĂ©cialiste de l’auto-analyse, elle en dit assez pour qu’on croie comprendre ce qui s’est passĂ©, Ă  savoir qu’un moment est venu oĂč elle s’est dĂ©tachĂ©e de ce projet. Dans sa vie personnelle on peut trouver comme un indice prĂ©figurant cette Ă©volution : la rupture de sa relation amoureuse avec un ami algĂ©rien, malgrĂ© l’intensitĂ© et la qualitĂ© de leurs Ă©changes. Mais l’AlgĂ©rie elle-mĂȘme en tant que pays est une autre explication de son retrait relatif, du fait qu’elle est devenue un pays post-Hirak oĂč les espoirs liĂ©s Ă  celui-ci ont Ă©tĂ© Ă©crasĂ©s.
De « Nancy-Kabylie » on garde l’idĂ©e que cette premiĂšre pĂ©riode de sa vie adulte a Ă©tĂ© principalement pour DorothĂ©e-Myriam le moment de restaurer les liens compliquĂ©s de son pĂšre Malek, exilĂ© en France, avec son algĂ©rianitĂ©. Il est probable que cette restauration lui Ă©tait aussi nĂ©cessaire Ă  elle-mĂȘme, ce n’en est pas moins pour lui et avec lui qu’elle s’est adonnĂ©e Ă  ce travail, avec une grande gĂ©nĂ©rositĂ©. La mĂ©moire n’est pas un long fleuve tranquille, oĂč l’on se replonge Ă  l’occasion. Elle est plutĂŽt un immense combat Ă  gagner contre l’oubli, volontaire ou pas, en s’appuyant sur les bribes du passĂ© qui ont survĂ©cu Ă  l’occultation. La rĂ©compense en est, dans le meilleur des cas, « des retrouvailles auxquelles on ne s’attendait pas ».
Et c’est aussi une libĂ©ration car en disant l’histoire on se dĂ©gage de son poids.
Denise Brahimi

 » BOURDIEU, UNE ENQUÊTE ALGERIENNE «  d’Olivier Thomas et Pascal GĂ©not Ă©ditions Steinkis 2023

Ce copieux roman graphique donne Ă  voir et Ă  vivre au lecteur la vie et le parcours d’un intellectuel qui s’engage progressivement. La part prise par son long sĂ©jour en AlgĂ©rie dans la construction d’un sociologue majeur est au cƓur de ce livre. Le scĂ©nariste, Pascal GĂ©not, docteur en sciences de l’information, spĂ©cialiste de l’éducation aux images et aux mĂ©dias, se met en scĂšne, dans la dĂ©couverte de l’AlgĂ©rie Ă  partir de 2011, et dans la dĂ©couverte du rĂŽle de l’AlgĂ©rie dans la trajectoire de vie de Pierre Bourdieu.
Le livre enchaĂźne sur la jeunesse et la formation de Pierre Bourdieu, de Pau Ă  Paris. La description de cette trajectoire est dans le texte trĂšs sociologique, trĂšs « bourdieusienne » montrant les difficultĂ©s de l’ascension sociale, illustrĂ©e graphiquement par de multiples anecdotes qui donnent une saveur souvent souriante Ă  cette description volontairement acadĂ©mique. C’est en cela que l’objet roman graphique, notamment quand il traite de sociologie, est un support remarquable. Surtout quand on a le plaisir d’y dĂ©couvrir le dessin au trait, rĂ©aliste, d’Olivier Thomas.
Citons une anecdote des compĂšres de Louis le Grand, quand « Jackie » Derrida dĂ©clame Ă  la demande de ses copains internes dont « Coyote » Bourdieu, un passage de la Parodie du Cid d’Edmond Brua : « quĂ© rabia ! QuĂ© malheur ! Pourquoi qu’on devient vieux ? » (lamentation de DodiĂšze, qui s’est « mangé » un coup de soufflet de Gongormatz). Premier contact avec l’AlgĂ©rie et un de ses illustres enfants
 La rue d’Ulm, dont ils rĂ©ussissent le concours de philosophie les maintient dans les dĂ©bats autour de l’AlgĂ©rie, avec la fameuse controverse Sartre Camus, et le « fauteuil dans le sens de l’histoire ». Bourdieu, Derrida et Bianco refusent l’alignement au PCF et intĂšgrent le comitĂ© d’action des intellectuels pour la dĂ©fense des libertĂ©s. AgrĂ©gation de philosophie en poche, Bourdieu fait le choix d’aller enseigner Ă  Moulins en 1954, puis est rattrapĂ© par le service militaire au printemps 1956, en AlgĂ©rie, dĂ©but d’une nouvelle initiation
 Ainsi Ă©voquĂ©e par le scĂ©nariste :« Les annĂ©es passĂ©es au-delĂ  de la MĂ©diterranĂ©e lui feront quitter les hauteurs de la philosophie pour les ravins de la sociologie, discipline mĂ©prisĂ©e, qu’il allait rĂ©inventer »  L’album donne Ă  voir l’appel Ă  la paix civile lancĂ© en 1994 Ă  la Sorbonne au nom du ComitĂ© international de soutien aux intellectuels algĂ©riens qu’il prĂ©side. Et ces mots qui rĂ©sonnent Ă©tonnamment en cette pĂ©riode de nouvel affrontement en terre palestinienne « Nous savons qu’à l’origine de la tragĂ©die, il y a toute la violence dont la nation française s’est rendue coupable, pendant plus de cent cinquante ans » 
L’album entre alors dans le chapitre AlgĂ©rie, entremĂȘlant l’enquĂȘte de Pascal GĂ©not, elle mĂȘme illustrĂ©e d’observations sociologiques comme cette conversation avec le chibani rencontrĂ© dans l’avion « le mieux, c’est l’avion, lĂ  je suis chez moi ». Son ami algĂ©rien avec qui il va sur la tombe de Bourdieu au PĂšre Lachaise lui fait promettre : « Faites moi plaisir, parlez de Sayad ! Bourdieu c’est bien mais sans Sayad il n’aurait pas compris grand’chose ». Le rĂ©cit progresse ainsi, entrecoupant le « making of » du scĂ©nariste et de son enquĂȘte, les Ă©lĂ©ments d’histoire ou de biographie trĂšs prĂ©cis sur Bourdieu et l’époque, et le dessin, illustratif et animant le rĂ©cit. Bourdieu sur la base aĂ©rienne d’OrlĂ©ansville, la dĂ©sertion de l’aspirant Maillot dans le journal, qui vaut un dialogue avec son copain ouvrier communiste chez Renault oĂč il lui explique les divergences entre PCF et PCA
 Il aborde avec des intervenants algĂ©riens la controverse sur le passage du caporal Bourdieu au service de propagande du Gouvernement GĂ©nĂ©ral, qui l’a mis au saint des saints du pouvoir en AlgĂ©rie. Aurait-il dĂ» refuser, dĂ©serter ? S’esquisse un ĂȘtre humain, avec ses contradictions et sa complexitĂ©, que par exemple l’anthropologue Tassadit Yacine ou le sociologue Kamel Chachoua se refusent de juger. « La rĂ©putation, pour un intellectuel, c’est comme l’honneur pour les Kabyles : une question de vie ou de mort ». L’action psychologique qui dĂ©ploie sa propagande dans les campagnes cĂŽtoyait la guerre psychologique, l’intoxication et la torture. Comment Bourdieu a-t-il vĂ©cu ces contradictions ? Probablement en travaillant en parallĂšle Ă  une comprĂ©hension profonde de la sociĂ©tĂ© algĂ©rienne, par exemple avec la frĂ©quentation d’AndrĂ© Nouschi, les livres de Raymond Aron (La tragĂ©die algĂ©rienne), de Germaine Tillion (L’AlgĂ©rie en 1957)
 Et en conversant avec son ami Jacques Derrida, lui aussi bidasse en AlgĂ©rie


Pour aider l’AlgĂ©rie sans s’engager pour autant, Bourdieu abandonne son projet de thĂšse inspirĂ© par son mentor Georges Canghilem, pour enseigner la sociologie Ă  la facultĂ© d’Alger. Avec pour seul premier bagage sociologique l’écriture d’un Que sais-je « sociologie de l’AlgĂ©rie ». Petit ouvrage mais oĂč il analyse, dans l’incomprĂ©hension de la sociĂ©tĂ© coloniale de 1958 la diversitĂ© des strates du peuple algĂ©rien en mĂȘme temps qu’un fonds commun religieux et anthropologique. Le livre nous livre quelques contenus des cours de Bourdieu, notamment ses citations de l’anthropologue amĂ©ricaine Ruth Benedict sur la Shame culture et la Guilt culture. Parmi ses Ă©tudiants, Fanny Colonna, Alain Accardo et le plus proche, Abdelmalek Sayad, dont l’album dĂ©crit la trajectoire. Superbes images des errances de Bourdieu dans les quartiers d’Alger, en observation de manifestations riches d’enseignements sociologiques. On le voit aussi rencontrer Mouloud Ferraoun dont Pascal GĂ©not questionne les enfants notamment Faiza qui a soutenu sa thĂšse de sociologie avec Pierre Bourdieu et qui raconte son enseignement, la trace, mĂȘme datĂ©e, de ses textes sur la sociĂ©tĂ© algĂ©rienne, et aussi sa mĂ©thode.
En 1960 Bourdieu rentre Ă  Paris oĂč il enseigne Ă  la Sorbonne, et oĂč Raymond Aron lui confie la crĂ©ation d’un nouveau centre de recherches en sciences sociales, logĂ© comme il se doit dans la maison d’Auguste Comte.
Ceci nous vaut quelques pages sur l’histoire de la sociologie puis sur l’apport conceptuel de Bourdieu Ă  cette discipline. Les champs de force et de lutte, le capital et l’habitus sont dĂ©crits trĂšs pĂ©dagogiquement, donnant Ă  ce livre une valeur d’information en profondeur. Il montre comment Bourdieu s’empare et associe des concepts crĂ©Ă©s par d’autres, Marx, Durkheim

Mais il n’abandonne pas l’AlgĂ©rie, et suit de prĂšs les enquĂȘtes de terrain menĂ©es par Sayad, auxquelles il vient participer dĂšs que possible. L’auteur fait parler plusieurs universitaires algĂ©riens pour dĂ©crire l’apport de Bourdieu en AlgĂ©rie, SaĂŻd Belguidoum, qui dĂ©cortique le phĂ©nomĂšne massif d’urbanisation en AlgĂ©rie, Kamel Chachoua, Nadji Safir, Mohand Akli Hadibi, mais aussi les enquĂȘtĂ©s eux-mĂȘmes, remarquablement dessinĂ©s par Olivier Thomas. Les dialogues entre Bourdieu et Sayad autour de ces enquĂȘtes donnent une analyse fouillĂ©e du fonctionnement de la sociĂ©tĂ© algĂ©rienne en 1960. Les conversations avec tous ces sociologues, qui utilisent les outils de Bourdieu pour dĂ©crire la sociĂ©tĂ© algĂ©rienne d’aujourd’hui mais aussi les conversations avec d’autres acteurs, les chants des clubs de football, les scĂšnes silencieuses de dĂ©ambulation dans l’AlgĂ©rois donnent au lecteur une vision du pays telle que peut-ĂȘtre Bourdieu aurait su la faire Ă©merger. Ainsi le succulent dialogue avec la chorĂ©graphe et metteuse en scĂšne Aicha Ă  l’hĂŽtel El Aurassi

Le dernier chapitre concerne les travaux de Bourdieu et Sayad sur les camps de regroupement, principalement dans la rĂ©gion de Collo. Pascal gĂ©not et son guide algĂ©rien viennent Ă  l’improviste visiter les lieux oĂč les jeunes du coin leur montrent les photos des camps prises Ă  l’époque par Bourdieu, et trouvĂ©es sur internet.
Sont Ă©voquĂ©es dans se chapitre les convergences avec le Fanon de L’an 5 de la rĂ©volution algĂ©rienne, puis les lourdes critiques au Fanon des DamnĂ©s de la terre, et Ă  son prĂ©facier Jean-Paul Sartre.
Puis c’est le retour de l’auteur en France oĂč Ă©meutes de gilets jaunes et autres mouvements sociaux sont Ă©voquĂ©s, toujours dans une approche bourdieusienne, dans sa derniĂšre Ă©poque d’analyse et de dĂ©montage de l’emprise du capitalisme sur la sociĂ©tĂ©. L’auteur met en parallĂšle la situation des dirigeants de France et d’AlgĂ©rie, Ă  la faible lĂ©gitimitĂ© populaire, qui imposent d’autant plus durement des choix que refuse le peuple. Mais selon lui la France illustre davantage le lien entre hausse de la prĂ©caritĂ© sociale et dĂ©saffection politique.
« La libertĂ© n’est pas un donnĂ©, mais une conquĂȘte, et collective » fait il dire Ă  Bourdieu pour conclure son livre, prĂ©cĂ©dant les derniĂšres images, le tournage d’un film de la chorĂ©graphe Aicha Rahal.
Un livre sur l’AlgĂ©rie d’hier et d’aujourd’hui, sur la sociologie et l’apport de Bourdieu, largement inspirĂ© par l’AlgĂ©rie. Riche, beau et nourrissant.

Michel Wilson

« ABDELINHO » film de Hicham Ayouch, Maroc, 2022

MĂȘme s’il peut paraĂźtre bizarre de commencer par la fin, on ne peut que recommander aux spectateurs de ce film de bien Ă©couter —ne serait-ce d’ailleurs que pour leur plaisir, car Hicham Ayouch le rĂ©alisateur est aussi un bon acteur— l’interview fictive qu’il est supposĂ© donner Ă  un journaliste, alors qu’il joue lui-mĂȘme les deux rĂŽles. Bien que le film ne soit pas difficile Ă  comprendre , et mĂȘme parfaitement clair sur le fond, ce sont toutes les drĂŽleries, fantaisies et gambades qu’il nous encourage Ă  apprĂ©cier pleinement, alors que nous sommes peut-ĂȘtre, parfois, engoncĂ©s dans l’esprit de sĂ©rieux dĂšs qu’il s’agit d’islam et d’islamisme, sujets qu’on pourrait dire interdits de plaisanterie—ce qui est toujours un signe grave pour la sociĂ©tĂ© dans laquelle il en est ainsi.

Rassurons-nous donc et laissons-nous aller Ă  notre plaisir, Hicham Ayouch n’est nullement coincĂ© par l’immense sujet que son film aborde en rĂ©alitĂ©, et qui n’est pas moins que la dĂ©fense du plaisir et de la joie de vivre contre les prĂȘcheurs d’austĂ©ritĂ©, charlatans hypocrites qui se cachent derriĂšre des prĂ©textes religieux. Le rĂ©alisateur a beau expliquer que ce genre de sinistre individu existe partout et que toutes les religions sont utilisĂ©es par eux Ă  titre de paravent, pour cacher leur volontĂ© d’exploiter un peuple trop crĂ©dule, c’est bel et bien d’un tĂ©lĂ©vangĂ©liste intĂ©griste musulman qu’il s’agit dans le film en la personne d’un certain Amr Taleb, pour la bonne et simple raison que l’histoire se passe au Maroc, le film ayant Ă©tĂ© tournĂ© Ă  Azemmour, petite ville parmi d’autres sans doute, ici prise pour exemple. L’aspect sociologique est indiquĂ© mais il est loin d’écraser la fantaisie de cette histoire loufoque et singuliĂšre qui nous est ici contĂ©e. A signaler, comme exemplaire de la façon volontairement comique dont procĂšde le rĂ©alisateur, la brochette de « Hittistes » figĂ©e contre le mur par une immobilitĂ© qui est dĂ©jĂ  presque la mort : de temps en temps, le dernier du banc s’effondre et « l’ambulance des chĂŽmeurs »  passe le ramasser pour le conduire Ă  l’hĂŽpital 
ou Ă  la morgue : traitement dans le style BD ou souvenir du grand cinĂ©ma burlesque aux beaux jours du muet mais en tout cas affirmation qu’on peut rire de tout pour reprendre une problĂ©matique sous-jacente Ă  notre Ă©poque.
Donc Hicham Ayouch a pris le parti d’en rire mais surtout il s’est donnĂ© les moyens d’entraĂźner avec lui toute une partie du public qui ne demande qu’à aimer la vie et ce qu’elle comporte de meilleur, c’est-Ă -dire l’amour. Le moins qu’on puisse dire, c’est que dans le partage du monde entre le bien et le mal, il ne cherche pas de complication. Nous sommes dans un conte et nous souhaitons de tout notre cƓur que les bons, les gentils et les innocents, comme Abdelinho lui-mĂȘme soient finalement les gagnants dans l’affrontement qui leur est imposĂ© par les mĂ©chants, reprĂ©sentĂ©s par le misĂ©rable Amr Taleb, jouant de l’obscurantisme trĂšs rĂ©pandu, des nĂ©vroses qui ne sont pas rares non plus (Ah ! ces mĂšres qui ne peuvent pas vivre tant que leur fils n’est pas mariĂ©) et des traditions qui sont supposĂ©es indispensables pour structurer la vie sociale. Mais la grande force du film est de tenir trĂšs rarement ce discours en tant que tel et pour cela de ne pas tenir de discours du tout. Bien plus convaincante en effet est l’exubĂ©rance joyeuse de ceux et celles qui avec l’aide d’Abdelinho s’exercent Ă  danser la samba, une des formes que prend son amour dĂ©lirant du BrĂ©sil (dont la modification de son prĂ©nom n’est qu’un indice parmi d’autres). Cet amour est un des fils conducteurs du film, en mĂȘme temps qu’un hommage Ă  l’AmĂ©rique latine oĂč l’imaginaire, prenant la forme de ce qu’on appelle « le rĂ©alisme magique », transcende la misĂšre grĂące Ă  la puissance de l’imaginaire poĂ©tique.
L’imaginaire et le choix du rĂȘve sont en effet ce qui caractĂ©rise Abdleinho poussĂ© Ă  ce choix grĂące Ă  son engouement pour une tĂ©lĂ©novella appelĂ©e « Maria » comme son principal personnage fĂ©minin : drame dĂ©bordant de bons sentiments et susceptible de pulvĂ©riser les obstacles que la sociĂ©tĂ© pourrait leur opposer. Pour Maria, Abdelinho ne cesse de dĂ©clarer son amour (au grand dam de sa mĂšre qui comme on dit lui « joue le grand jeu »). Cet amour rĂ©ciproque ne peut manquer d’ĂȘtre un jour couronnĂ©, n’importe que ce soit « en vrai » ou en restant dans la fiction tĂ©lĂ©visuelle, puisque le conte est justement le genre qui abolit cette distinction. Abdelinho, les yeux rieurs et la perruque bouclĂ©e, a reçu en partage la grĂące qui habituellement est celle de l’enfance, croire Ă  la vĂ©ritĂ© du conte ; c’est pourquoi son histoire finit comme dans le fameux Ă©pilogue de ce genre littĂ©raire : ils furent trĂšs heureux et eurent beaucoup d’enfants. Et en plus, la pulpeuse actrice brĂ©silienne aux attraits Ă©poustouflants semble avoir trĂšs bien appris Ă  faire le couscous, ce qui ne saurait nuire. En tout cas, Ă  la fin du conte, les fameux obstacles inĂ©vitables semblent bel et bien avoir Ă©tĂ© surmontĂ©s.
Hichem Ayouch a pris dĂ©libĂ©rĂ©ment un parti opposĂ© Ă  celui qui domine dans un certain cinĂ©ma marocain, celui d’un rĂ©alisme hĂ©las non magique qui nous montre les tares les plus dĂ©plorables de cette sociĂ©tĂ©. Son parti-pris n’est pas celui d’une dĂ©nonciation mĂȘme si on voit bien ici ou lĂ  qu’il n’ignore rien de ce que pourrait ĂȘtre celle-ci, ĂŽ combien lĂ©gitimement. Mais ce n’est pas suffisant pour priver tout un peuple de rĂȘve et d’imagination.
Denise Brahimi

« L’AIR  DE LA MER REND LIBRE », film de Nadir MoknĂšche 2023

Nadir Mokneche, nadir-mokneche-photo-karl-colonnier

Nadir MoknĂšche n’est plus un dĂ©butant, il va vers la soixantaine et s’est fait connaĂźtre depuis au moins deux dĂ©cennies par une bonne demi-douzaine de films. Ils sont tous remarquables par des qualitĂ©s qu’on pourrait certes dĂ©tailler mais dont l’effet global est qu’on Ă©prouve un trĂšs grand plaisir Ă  les regarder—faut-il dire Ă  regarder les acteurs par lesquels ses personnages sont incarnĂ©s ? Oui sans doute, et une fois encore dans ce dernier film oĂč sans la moindre recherche de vedettariat, les deux personnages principaux, SaĂŻd et Hadjira, s’imposent Ă  notre admiration par leur finesse et leur originalitĂ©. La direction d’acteurs est sans doute un des plus grands talents de Nadir MoknĂšche, on a l’impression que le souci principal de ces deux-lĂ  est vraiment d’entrer dans les intentions de leur metteur en scĂšne., en dĂ©jouant tout risque de facilitĂ©.

Celle-ci Ă©tait Ă  craindre en effet, (si ce n’est que Nadir MoknĂšche nous a habituĂ©s Ă  lui faire confiance), du fait que le mariage arrangĂ© d’une part et le secret jalousement gardĂ© autour de l’homosexualitĂ© masculine d’autre part sont des traits typiques de la sociĂ©tĂ© maghrĂ©bine trĂšs souvent dĂ©noncĂ©s aujourd’hui et connus, si l’on ose dire, mĂȘme des Français moyens. Encore faut-il qu’on sache les y intĂ©resser, et c’est ce qui se passe dans le film de Nadir MoknĂšche. Nous sommes dans une ville de province moyenne Ă  tous Ă©gards, ici Rennes, et la famille d’origine algĂ©rienne qui nous est montrĂ©e pratique ce mĂ©lange typique d’intĂ©gration Ă  maints Ă©gards et de traditions Ă©parses ostensiblement maintenues auquel tout le monde est maintenant habituĂ©. Telle qu’en elle-mĂȘme, c’est la sociĂ©tĂ© française d’aujourd’hui 
 et pourtant Ă  y regarder de plus prĂšs, on y trouve encore des faits et des gens susceptibles de nous Ă©tonner.

Certes, cette histoire ne se passe guĂšre que dans l’intimitĂ© mais c’est l’occasion de comprendre que de cette intimitĂ© justement peuvent sortir les plus grands mouvements de sociĂ©tĂ©. Donc SaĂŻd est un garçon homosexuel prĂȘt Ă  toutes les aventures auxquelles le pousse ce goĂ»t particulier mais aussi amoureux (et rĂ©ciproquement) d’un garçon appelĂ© Vincent musicien de jazz de son Ă©tat. Il est harcelĂ© par sa mĂšre qui juge indispensable de le marier dans les plus brefs dĂ©lais (aurait-elle devinĂ© quelque chose, la fine mouche ?). En tout cas, lorsque l’histoire commence, SaĂŻd est Ă  mille lieues de pouvoir avouer qu’il est gay Ă  qui que ce soit, et l’un des enjeux du film sera de l’amener Ă  le faire finalement. Il est peut-ĂȘtre plus bisexuel qu’il ne croit mais lorsqu’il clamera qu’il est gay, ce sera sans rĂ©serve, comme on se jette Ă  l’eau, en une seule fois. Reste que peu Ă  peu et surtout vers la fin, on a l’impression qu’il devient amoureux de sa femme Hadjira, ce qui a le mĂ©rite d’éviter les situations binaires et sans nuance ; et pour le dire en termes trĂšs simples mais pourtant vrais, mĂȘme les spectateurs les moins concernĂ©s par le sujet finissent par se dire qu’il faudrait sans doute y regarder Ă  deux fois.

Pour ce qui est d’Hadjira elle-mĂȘme, on ne peut savoir si elle a devinĂ© la vĂ©ritĂ©, faute de savoir ce que sont les connaissances de cette jeune femme en matiĂšre de sexualitĂ©, mais de toute façon on croit comprendre que l’essentiel pour elle n’est pas de savoir si oui ou non SaĂŻd est ou n’est pas ce qu’il ne veut pas dire de toute façon ; de maniĂšre bien intĂ©ressante, ce qu’elle veut essentiellement est qu’il lui parle, qu’il lui dise ce qu’il en est avec ses mots Ă  lui, sa bouche Ă  lui, alors que pendant la plus grande partie du film il ne parvient pas Ă  lui confier quoi que ce soit, Ă  peine un minuscule aveu ne concernant que son infidĂ©litĂ©. Et l’on comprend grĂące Ă  elle (qu’on aurait tort de juger enfermĂ©e dans son hijab et ses dĂ©votions) l’importance finalement secondaire de ce qui est pourtant l’objet d’une curiositĂ© obsĂ©dante pour beaucoup de gens, l’orientation sexuelle des autres en gĂ©nĂ©ral et d’eux-mĂȘmes en particulier.

La promenade Ă  la mer de SaĂŻd et d’Hadjira rĂ©conciliĂ©s montre Ă  quel point la relation de couple peut ĂȘtre une ressource inĂ©puisable de sentiments Ă  partir du moment oĂč on Ă©chappe Ă  cette obsession. Parvenir Ă  s’en libĂ©rer est justement conquĂ©rir la libertĂ© dont il est question dans le titre du film : mot-clef, simple et lumineux, qui n’avait pas Ă©tĂ© exprimĂ© auparavant. Cette libĂ©ration aussi est un enjeu du film, ou plutĂŽt c’est toujours du mĂȘme qu’il s’agit car la libertĂ© de dire ou de ne pas dire dont ne dispose pas SaĂŻd, le jeune mariĂ©-malgrĂ©-lui, n’est qu’une facette, Ă  l’échelon individuel, de cette libertĂ© immense, Ă  la fois ouverte et secrĂšte, dont la mer est une magnifique image. C’est la libertĂ© d’ĂȘtre ou ne pas ĂȘtre dĂ©fini par une seule catĂ©gorie comme le voudrait pourtant la sociĂ©tĂ© par souci d’une organisation claire et d’un ordre immuable.

Vincent l’ami musicien a sans doute eu, grĂące Ă  la musique, la possibilitĂ© d’accĂ©der Ă  un certain sens de la libertĂ©, absent au contraire de la boucherie familiale oĂč SaĂŻd vit enfermĂ©. Heureux ceux et celles que la musique ou la mer ont aidĂ©(e)s dans leur difficile cheminement. SaĂŻd aura dĂ» vivre le sien sans adjudant, on peut en conclure, en partageant un certain optimisme du film, qu’il sera un pĂšre particuliĂšrement vigilant quand sera mise en cause la libertĂ© de son enfant !

Denise Brahimi

« DE LA CONQUÊTE », film documentaire rĂ©alisĂ© par Franssou Prenant, 2022 (sortie 2023)
Il s’agit Ă©videmment de la conquĂȘte de l’AlgĂ©rie et le regard de la rĂ©alisatrice s’est fixĂ© sur la premiĂšre pĂ©riode des 130 ans pendant lesquels a durĂ© la colonisation. Les nombreux textes que le film donne Ă  entendre concernent tous la pĂ©riode 1830-1848, ils ont Ă©tĂ© le plus souvent Ă©crits par des personnages marquants de cette Ă©poque et nous sont donnĂ©s Ă  entendre par Franssou Prenant sans autre commentaire car ils n’en ont en effet aucun besoin, leur sens gĂ©nĂ©ral Ă©tant parfaitement clair. Cependant il n’est pas suffisant de dire que globalement ils dĂ©noncent et condamnent l’entreprise coloniale, d’autant que cette condamnation est devenue un leit-motiv de toute une part de la pensĂ©e contemporaine et post-coloniale. Ce qui est le plus intĂ©ressant et sans doute aussi le plus sidĂ©rant dans les textes trĂšs nombreux que la rĂ©alisatrice a su retrouver et reproduire, c’est que d’une part ils sont le fait de Français manifestement trĂšs mal Ă  l’aise de se trouver associĂ©s du fait de leur nationalitĂ©, Ă  une entreprise qu’ils jugent calamiteuse ; et c’est que d’autre part ce qui les atterre dans cette affaire est l’évidente incompĂ©tence de ceux qui la mettent en Ɠuvre. Avant mĂȘme de passer au jugement moral sur la barbarie de certains comportements (nombreux hĂ©las) que s’autorisent les conquĂ©rants, il est facile semble-t-il de faire le constat que ceux-ci sont non seulement inutiles mais nuisibles et se retournent contre ceux qui les commettent.
A cette Ă©poque des dĂ©buts, la plus grande partie du fait colonial est encore la conquĂȘte Ă  proprement parler, elle est le fait des militaires qui sont chargĂ©s de dĂ©truire et non de construire, et si jamais cette derniĂšre question est abordĂ©e, la rĂ©ponse est Ă©vidente, le seul modĂšle envisageable pour la reconstruction est un modĂšle Ă  100% français : il doit l’ĂȘtre non seulement explicitement, mais mĂȘme pourrait-on dire ostensiblement,
Avec une sorte de contradiction propre au colonisateur qui consiste Ă  la fois Ă  nier l’existence sur le terrain de tout ce qui aurait pu exister avant lui, et Ă  faire preuve d’un grand acharnement pour en Ă©liminer les traces.
Pour s’en tenir Ă  la ville d’Alger qui pour des raisons claires est Ă  cette Ă©poque la seule assez bien connue, il est Ă©vident que son fonctionnement est fondĂ© sur des siĂšcles pendant lesquels il a Ă©tĂ© tenu compte de donnĂ©es multiples et variĂ©es, utilisant Ă  la fois l’expĂ©rience transmise par la tradition et un ensemble d’observations quotidiennement renouvelĂ©es, aussi bien par la sagacitĂ© populaire que par des experts et des savants.
Or tout se passe comme si les nouveaux conquĂ©rants ne voulaient mĂȘme pas soupçonner l’existence de ce fonds trĂšs prĂ©cieux qui pourtant n’aurait pas manquĂ© de leur ĂȘtre utile, voire indispensable. ObnubilĂ©s par l’idĂ©e que leur installation impliquait au prĂ©alable une vĂ©ritable table rase, ils ont dĂ©truit sans rĂ©serve et sans prĂ©caution, se privant eux-mĂȘmes de ce qui allait cruellement leur manquer, et qu’on peut dĂ©signer dans les termes les plus simples comme la connaissance du pays.

Le texte ainsi composĂ© par les commentateurs appelĂ©s Ă  la rescousse par Franssou Prenant est une partie importante du film  d’autant plus remarquable que certains d’entre eux sont des dĂ©couvertes. Cependant c’est du cĂŽtĂ© des images montrĂ©es que la rĂ©alisatrice se montre particuliĂšrement inventive, et le travail qu’elle a accompli pour le film s’avĂšre d’une grande complexitĂ©. On ne pouvait que se poser la question : quelles images, et oĂč les trouver, seraient susceptibles d’accompagner les textes concernant la conquĂȘte sur lesquelles le film s’appuie ? Il n’y a Ă©videmment aucun film d’époque(!) et si peu d’iconographie que s’il n’est possible de pas la rechercher dans un livre, elle sera Ă  peine perceptible dans un film. Le parti-pris adoptĂ© par la rĂ©alisatrice est de montrer des images plus ou moins actuelles, d’oĂč se dĂ©gage en tout cas le sentiment qu’on est dans l’Alger d‘aujourd’hui, et vivante ĂŽ combien. Tous ces gens dont la disparition Ă©tait si ardemment souhaitĂ©e au moment de la conquĂȘte sont encore lĂ  et plus que jamais si l’on peut dire alors que de leurs prĂ©tendus exterminateurs il n’est autant dire plus question, sinon pour tel ou tel de leurs propos encore capable de susciter notre consternation.
Il n’est pas Ă©tonnant qu’une bonne part des AlgĂ©riens ou plutĂŽt AlgĂ©rois qu’on voit sur les images du film soient des adolescents : c’est la vĂ©ritĂ© sociologique la plus frappante concernant cette si jeune population. Ils se pressent sous nos yeux qui regardent le film mais Franssou Prenant se garde bien de les faire parler ou de commenter leur prĂ©sence. A chacun d’ajouter aux images ses rĂ©flexions personnelles et intimes Ă  partir d’une Ă©vidence extrĂȘmement forte et qui nous submerge : dans cette ville la vie dĂ©borde de partout comme une sorte de nĂ©gation ironique de ce qui a Ă©tĂ© chez les conquĂ©rants une volontĂ© d’extermination. A quoi bon tant de crimes, tant de sang versĂ©, tant d’horreurs ? Encore une fois et plus que jamais ce qu’il en reste est le sentiment de leur inefficacitĂ©. Physiquement et sans aller chercher plus loin (ni dans l’histoire ni dans la philosophie), on peut penser que certaines tentatives historiques sont vouĂ©es Ă  l’échec, mĂȘme s’il y faut le temps : l’aveuglement, le dĂ©ni, quoi d ‘autre encore, cherchez oĂč Ă©tait l’erreur, tout cela est possible mais rien ne remplace incontestablement, un regard sur l’Alger d’aujourd’hui.
Denise Brahimi

Peut-on ajouter que voir ce film en un temps oĂč une autre colonisation conduit Ă  des drames similaires est troublant et fait penser Ă  une malheureuse continuitĂ© des comportements humains ? Voir l’humain dont on prend la terre et dĂ©nie les droits comme un non-humain
 Comment qualifiera t on dans un siĂšcle la « civilisation » dans laquelle nous prĂ©tendons vivre ?
Michel Wilson

Et toujours ces deux films sur la richesse de la vie associative algérienne que nous vous invitons à visionner.

– Utiles
de Bahia Bencheikh-EL-Feggoun

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–Entre nos mains

de Leila Saadna

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Et sa bande-annonce, cliquez ici

 

 

 

 

 

 

NOTES DE PRESENTATION

« MEMOIRE POUR L’EGALITE ET LA JUSTICE » ed. Au nom de la mĂ©moire 2023

En cette annĂ©e 2023, on commĂ©more le 40e anniversaire de La Marche pour l’égalitĂ© des droits et contre le racisme (1983-2023). Un album de photos a Ă©tĂ© publiĂ© Ă  cette occasion, plus de la moitiĂ© en est constituĂ©e de photos en noir et blanc qui sont des clichĂ©s de l’époque, pris au long de l’itinĂ©raire de la Marche, sur le parcours Marseille-Lyon-Paris. Mais ces photos, qu’on ne se lasse pas de regarder, sont aussi encadrĂ©es par un texte substantiel Ă  deux voix, celles de Samia Messaoudi et de Mehdi Lallaoui qui ont Ă©tĂ© de toutes les marches dans les annĂ©es 80 et sont aujourd’hui des responsables associatifs qui continuent Ă  travailler pour les mĂȘmes causes. Cependant leur texte va au-delĂ  de la stricte Ă©vocation des marches et ils ont recueilli beaucoup de rĂ©flexions et de tĂ©moignages, au nombre desquels ceux de Christian Delorme, prĂȘtre catholique du diocĂšse de Lyon parfois appelĂ© « le curĂ© des Minguettes» (quartier de VĂ©nissieux), et initiateur de la marche dont il a d’ailleurs tirĂ© un ouvrage intitulĂ© « La  Marche » (Bayard 2013).

La preuve que les prĂ©occupations voire les urgences de l’époque sont encore celles d’aujourd’hui se trouve dans une annexe du livre qui, Ă  l’occasion de ce 40e anniversaire, publie une liste rĂ©actualisĂ©e en 2023 des « Trente revendications du collectif national « EgalitĂ© des droits-Justice pour tous ». Il y a aussi Ă  la fin de l’album un livret de 16 photos en couleurs rappelant les combats pour l’égalitĂ© menĂ©s avant, pendant et aprĂšs les marches , de 1973 à 2023. Pour cette derniĂšre annĂ©e, la photo reproduit l’appel Ă  une manifestation du 25 mars, « Contre le racisme et la loi Darmanin ».

Un colloque qui s’est tenu Ă  Lyon le 30 septembre 2023 posait aux participants la question suivante :  « En quoi la transmission de la mĂ©moire de la Marche peut-elle nourrir mes engagements d’aujourd’hui ? » 

Denise Brahimi

« ASSIA DJEBAR, FEMME ECRIVANT » par Maïssa Bey,  éditions ChÚvre-feuille étoilée, 2023
Ce petit livre (70 pages environ) est d‘abord un hommage rendu par son auteure Ă  une autre femme Ă©crivaine qu’elle considĂšre comme son initiatrice, et sans l’exemple de laquelle elle pense qu’elle n’aurait peut-ĂȘtre pas Ă©crit. Assia Djebar n’est pas pour elle une image de mĂšre, sans doute parce que l’écart d’ñge qui les sĂ©pare n’est pas suffisant pour cela, l’une Ă©tant nĂ©e en 1936 et l’autre en 1950. Mais surtout, l’une et l’autre Ă©tant des femmes qui ont voulu Ă©largir la dĂ©finition du genre fĂ©minin en AlgĂ©rie, il n’était pas conforme Ă  leur projet de rabattre toute relation sur la dimension familiale et c’est bien Ă©videmment sur autre chose que porte l’hommage rendu par MaĂŻssa Bey Ă  son aĂźnĂ©e.
Assia Djebar commence Ă  Ă©crire avec la guerre d’AlgĂ©rie Ă  laquelle elle a voulu participer alors qu’elle Ă©tait encore une jeune femme en sorte qu’elle a vĂ©cu en mĂȘme temps deux formes d’émancipation, en Ă©tant de celles qui d’une part participent Ă  l’histoire et qui d’autre part entrent en littĂ©rature, partiellement pour la raconter mais pour bien d’autres raisons aussi. Par cette double action, elle assume un statut trĂšs rare Ă  son Ă©poque voire rarissime, qui l’isole de sa sociĂ©tĂ© et l’enferme dans une certaine solitude par rapport aux femmes algĂ©riennes pour lesquelles elle Ă©prouve cependant une immense empathie. C’est une sorte de contradiction tragique qui pĂšsera sur toute sa vie.
MaĂŻssa Bey n’a que 12 ans lorsque l’AlgĂ©rie devient indĂ©pendante ce qui Ă©videmment ne lui permet pas encore d’accĂ©der Ă  l’écriture (mĂȘme si elle est dĂ©jĂ  une grande lectrice) alors que la guerre qui enfin s’achĂšve lui laisse une marque indĂ©lĂ©bile, la mort de son pĂšre combattant algĂ©rien contre l’armĂ©e française. Elle devient adulte dans un pays parti Ă  la recherche de lui-mĂȘme et de son identitĂ© occultĂ©e par la colonisation, ce qui entraĂźne inĂ©vitablement un certain retour Ă  des traditions dont les plus connues concernent les femmes et leur enfermement. Lutter contre celui-ci est donc un combat dont elle va assez vite et inlassablement faire le sien. Et c’est pour dĂ©fendre cette cause qu’elle Ă©crit livre aprĂšs livre, pratiquant le fĂ©minisme aussi bien en tant qu’écrivaine que dans les activitĂ©s de sa vie quotidienne, aux cĂŽtĂ©s d’autres femmes dont elle partage ou mĂȘme organise les combats. Ce sont des femmes dont elle est trĂšs proche, on se rend compte Ă  lire « Assia Djebar femme Ă©crivant   » qu’elle les connaĂźt de maniĂšre tout Ă  fait concrĂšte. Son fĂ©minisme vient de lĂ  et il est important pour elle de l’installer si l’on peut dire dans son cadre gĂ©ographique et physique, celui de la maison dans laquelle les femmes vivent enfermĂ©es : rien de plus logique pour qui veut parler de cet enfermement que de commencer par lĂ . MaĂŻssa Bey n’a pas besoin de chercher loin pour trouver l’objet de sa description, elle ajoute Ă©ventuellement Ă  ce qu’elle voit elle-mĂȘme ce que les livres d’autres hommes ou femmes d’AlgĂ©rie ont voulu faire connaĂźtre Ă©galement ; et dans leur nombre il y a Assia Djebar.
Comme il arrive souvent, on dirait que MaĂŻssa Bey apprĂ©cie de plus en plus sa grande aĂźnĂ©e maintenant qu’elle a disparu (le 7 fĂ©vrier 2015). Ce qui est frappant, sans doute du fait de ce dĂ©calage qui les sĂ©pare dans le temps et modifie les circonstances historiques de leurs destins individuels, est que MaĂŻssa Bey parle de sa consƓur avec une sorte de grande tendresse, on dirait presque une affection qui s’est substituĂ©e avec le temps Ă  l’admiration des dĂ©buts (ou qui plutĂŽt s’est ajoutĂ©e Ă  elle).
La pionniĂšre du fĂ©minisme algĂ©rien moderne a payĂ© au prix fort dans sa vie personnelle le destin qu’elle s’était choisi, sachant trĂšs tĂŽt qu’elle aurait Ă  le faire, jusqu’aux ultimes confirmations dont elle parle dans son dernier livre, « Nulle part dans la maison de mon pĂšre ».La pratique fĂ©ministe de MaĂŻssa Bey n’est sans doute plus celle des temps hĂ©roĂŻques, ni semblable Ă  ce qu’elle Ă©tait une vingtaine d’annĂ©es plus tĂŽt, mais il suffit de lire ses romans Ă©crits dans les derniĂšres annĂ©es pour se rendre compte des obstacles qui restent Ă  surmonter. Dans l’épilogue de son texte, Ă  la derniĂšre page et Ă  sa derniĂšre ligne, sans commentaire parce qu’elle parle d’elle-mĂȘme, on trouve une date : « C’est Ă  Alger, c’est en mars 2019 ». Alger, mars 2019 : on peut considĂ©rer que les Ă©vĂ©nements encore rĂ©cents Ă©voquĂ©s par ces mots ont toute leur place dans un hommage Ă  Assia Djebar.
Denise Brahimi

 » HISTOIRE DE L’ALGERIE DES ORIGINES A NOS JOURS «  de Michel Pierre 2023 Editions Tallandier

A son tour, aprĂšs Gilbert Meynier qui n’a pu mener le projet Ă  son terme, Michel Pierre a entrepris cette oeuvre ambitieuse d’une histoire longue de l’AlgĂ©rie. Cela dĂ©bouche sur un ouvrage de 700 pages, trĂšs riche en informations, mais pour autant d’une lecture accessible pour un public non spĂ©cialiste. Le passĂ© le plus ancien est rapidement survolĂ©, c’est un regret, mais il aurait fallu un tome Ă  part pour explorer ces temps prĂ©historiques. Pour autant ce spĂ©cialiste du Sahara nous Ă©claire sur des pĂ©riodes qui restent pleines de mystĂšre. Les chapitres sur l’antiquitĂ©, l’avĂšnement de l’Islam, la rĂ©gence ottomane et la relation entre « le lys et le croissant » apportent de multiples informations et plantent le dĂ©cor de ce que l’envahisseur français va dĂ©couvrir en 1830.
Vient ensuite une sĂ©rie de chapitres sur la colonisation trĂšs Ă©clairants sur les choix successifs des gouvernements sur cette colonie, et les errements et les illusions qui ont conduit Ă  l’affreuse guerre de libĂ©ration dont les cicatrices restent vives dans les deux pays. Cinq chapitres analysent finement le parcours de l’AlgĂ©rie indĂ©pendante jusqu’à aujourd’hui.
A signaler la pertinence des intitulĂ©s des chapitres, le choix d’illustrer par des anecdotes significatives, ce qui donne un ouvrage dont la rigueur universitaire (citations, notes 
) se marie avec un texte fluide et accessible.
Une somme trĂšs efficace sur un sujet d’une grande complexitĂ©.
Michel Wilson

L’amicale des Ă©crivains CDSRA :

Un groupe s’est formĂ© au sein des adhĂ©rents Ă  Coup de soleil de notre rĂ©gion. Cette initiative ne date que de quelques mois, elle en est encore Ă  un stade expĂ©rimental et tout permet de supposer que ses contours se prĂ©ciseront dans les temps Ă  venir. En fait, ceux et celles qui ont souhaitĂ© se rĂ©unir dans ce cadre sont mus par leur amour de la littĂ©rature, la leur et celle des autres. L’amicale (et c’est bien d’amitiĂ© qu’il s’agit Ă©galement) devrait permettre Ă  chaque participant de faire entendre en les lisant des fragments de son Ɠuvre Ă©crite, qu’elle soit publiĂ©e ou non. Et ce Ă  tour de rĂŽle, Ă©videmment pour laisser du temps Ă  la discussion Ă  la suite de chaque lecture. C’est par les rĂ©flexions et commentaires des autres que chacun pourra enrichir sa propre Ă©criture.
Il est aussi Ă©tĂ© question de lire d’autres textes que ceux des participants, qui pourraient ĂȘtre des fragments d’Ɠuvres littĂ©raires empruntĂ©s Ă  des auteurs laissĂ©s au choix de chacun.
C’est donc l’amour de la littĂ©rature et de l’écriture qui est au cƓur de ce projet, en pleine Ă©volution.

 

 

 

Un exemple de travail littĂ©raire rĂ©alisĂ© dans le cadre de L’Amicale prĂ©sentĂ©e ci-dessus

Fiche de lecture « Les silences des pÚres » de Rachid Benzine, éditions du Seuil, 2023

ProposĂ©e par Annie Barranco –septembre 2023.

Trappes, 2022
Il pleut lorsque Hadj Driss Benzine est porté en terre, ce samedi 16 avril, à cÎté de sa femme Malika et de leur fils aßné Ibrahim. Deux dates sur une plaque en bois, 1938-2022, scellent la tombe et entre elles, pense Amine, le dernier fils, -notre narrateur-, une béance, un vide qui lui donne le vertige.

« Il a fallu qu’il meure pour que je revienne ».
Vingt-deux ans aprĂšs son dĂ©part pour Boston oĂč Amine a Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ© par une grande Ă©cole amĂ©ricaine de musique.
Seul maintenant, dans l’appartement vide oĂč, avec ses deux sƓurs Khadija et Malika, l’existence de leur pĂšre est partie chez EmaĂŒs ou dans des sacs plastique, il respire, lĂ  dans la chambre du mort, la fragrance toujours prĂ©sente de son parfum bon marchĂ©, le mĂȘme depuis toujours. HĂ©site, dans le salon, Ă  s’engoncer dans le fauteuil du pĂšre, prĂ©sence silencieuse, pour l’éternitĂ© cette fois, fidĂ©litĂ© posthume Ă  son taiseux fantĂŽme Ă©grenant son chapelet.
Amine, finalement le contourne, ne s’y enfonce pas mĂȘme s’il est Ă©puisĂ©. « L’une de mes sƓurs le rĂ©cupĂ©rera », pense-t-il, et cette idĂ©e l’apaise.
Alors, il noue autour de son poignet le bracelet de cuir noir de la montre de son pĂšre, un modĂšle simple de chez Lip, en remonte le mĂ©canisme, s’émeut du mouvement repris par la trotteuse qui saute de seconde en seconde.
Quitte l’appartement de son enfance, dĂ©finitivement, en emportant avec lui l’enveloppe lourde de cassettes audio, une quarantaine, trouvĂ©e accidentellement derriĂšre le tablier usĂ© de la baignoire, les carreaux bleu clair, joints par son pĂšre, disjoints par le temps et l’humiditĂ©, fĂȘlĂ©s, sont tombĂ©s dans le chambardement de l’ultime « dĂ©mĂ©nagement » en rĂ©vĂ©lant leur cachette improbable.

« Le voyage des nouvelles » peut commencer.
Lecture P. 40 ET 41.
BouleversĂ© par la prĂ©sence de Chibani aux funĂ©railles de son pĂšre, Amine dĂ©cide alors de remonter le temps Ă  la recherche de cet inconnu. C’est une Ă©popĂ©e Ă©mouvante que nous vivons avec le fils, dĂ©sorientĂ© par l’exilĂ© silencieux qu’il a toujours connu et l’homme qu’il dĂ©couvre au fil de son voyage. Un voyage rythmĂ© par les rĂ©cits enregistrĂ©s selon une stricte chronologie, boussole prĂ©cieuse, placĂ©e sur le siĂšge « passager » de la voiture, que nous Ă©coutons avec lui, Ă©mus et recueillis. Lorsque la voix se tait c’est que les piles du lecteur audio sont Ă  plat, le temps d’un arrĂȘt pour en racheter, et la voix paternelle revient, poursuit posĂ©ment le rĂ©cit de sa vie, au fil des kilomĂštres qui dĂ©filent aussi.
Les Trente Glorieuses, les Charbonnages de France, tournent Ă  plein rĂ©gime en France. Amine dĂ©couvre comment les Amazighs du Souss, des jeunes hommes qui n’ont pas 20 ans, poussĂ©s par la misĂšre des parents, deviennent aprĂšs l’arrachement au pays et une sĂ©lection hasardeuse ponctuĂ©e d’humiliations, des travailleurs dociles, corvĂ©ables, parmi lesquels son pĂšre.
Amine découvre comment les « Gueules Noires » des mines de Lens, Driss Benzine et ses compagnons deviennent à Aubervilliers les « Gueules Grises » de la métallurgie, de la sidérurgie, de la cimenterie.
DĂ©couvre enfin Ă  St-Laurent-des-Arbres, dans le Gard, les conditions d’embauche et de travail des ouvriers agricoles dans les maraĂźchages de melons oĂč rĂšgne un racisme crasse, oĂč rĂŽde une envie de meurtre.
Dans ce pĂ©riple, inhumain souvent, c’est Driss, son pĂšre qui tient le groupe d’exilĂ©s dans une solidaritĂ© sans faille, dĂ©fend leurs conditions, s’interpose calmement, nĂ©gocie, lit, s’instruit de tout, s’intĂ©resse au cinĂ©ma-documentaire tournĂ© dans les usines Lip ou RhodiacĂ©ta, dĂ©couvre la musique RaĂŻ, jazz. Et plus tard, classique
à travers les tournĂ©es de Ce Fils musicien dont il est si fier.
A son insu, il se rend aux concerts de l’enfant prodige, lorsqu’ils ont lieu en France.
« Les silences des pÚres »
Quand Malika l’accompagne, il lui sert la main trĂšs fort afin de ne pas pleurer
 Et lorsque Malika dĂ©cĂšde, il continue d’assister Ă  chacun des rĂ©citals de piano de leur fils. Collectionnant articles de presse, tickets de places, les moins chĂšres, les plus Ă©loignĂ©es, les plus inconfortables, mais toujours prĂ©sent.
Enfin, et c’en est trop, Amine apprend comment son pĂšre, remarquĂ© par les responsables des syndicats ouvriers, devient l’un de leurs reprĂ©sentants respectĂ© qui dĂ©fend les droits des travailleurs immigrĂ©s au sein des premiĂšres organisations mises en place.

« J’ai comme l’étrange sentiment d’avoir Ă©tĂ© trompé  »
Alors Amine explose, passant tour Ă  tour, avec la souffrance qui l’accompagne, de l’incrĂ©dulitĂ© de l’adulte Ă  la frustration de l’enfant, se rĂ©volte de cette injustice qu’il ne comprend pas, pas encore

Lecture P. 101 102 103
Il lui faut passer par cette dĂ©chirure pour parvenir Ă  rencontrer son pĂšre, Driss Benzine, l’inconnu, l’étranger, dont il exhibe parfois, tant il doute de son identitĂ©, la photo Ă  son interlocuteur afin que celui-ci, tout en poursuivant, approuve le geste et l’apparition en murmurant Ă©mu « oui, comme tu lui ressembles   » ou « bien sĂ»r comme je reconnais mon frĂšre ».
Et c’est un autre Driss (Fnine), l’ami de toujours, parti du mĂȘme bled, au mĂȘme Ăąge, puis Boualem-le-Rouge de la CGT, puis Noureddine-le-Vieux et Grand-Martin, puis Mohand-le-Harki, qui parviendront Ă  renouer les fils, tous les fils tissĂ©s, des plus secrets aux plus intimes, entre le pĂšre doublement absent et le fils errant.
Mais seulement aprĂšs qu’Amine les eĂ»t tous rencontrĂ©s, chacun Ă  leur tour, lors de rendez-vous convenus avec eux, dans ce pĂ©rimĂštre gĂ©ographique dĂ©terminĂ© par leur vie laborieuse commune, devenu dĂ©sormais avec le temps inexorable, crĂ©puscule de cette vie.
A Lille, dans un foyer oĂč s’achĂšve tristement, pour la plupart d’entre eux, leur existence solitaire. Parfois dans une brasserie accueillante, jadis frĂ©quentĂ©e, autour d’un repas partagĂ© oĂč Nostalgie tient place de 3Ăšme invitĂ©e. Rarement dans la chaleur hospitaliĂšre d’une maison ou d’un appartement personnel.le.
Oui, c’est certain, Ă  les Ă©couter raconter leur histoire, Amine comprendra mieux leurs parcours Ă©troitement mĂȘlĂ©s Ă  celui de son pĂšre.
Au-delĂ  de la voix du mort, c’est celles encore vivantes, vibrantes d’amitiĂ© et d’affection qui l’enveloppent et l’apaisent.
Lecture P. 63 ET 64

« Pour le mariage, j’ai fait comme tu m’as dit »
Amine est Ă  St-Malo ce 26 avril 2022 devant la porte d’une maisonnette « Au Brise-Larmes », un bouquet de fleurs dans une main, une boĂźte de gĂąteaux dans l’autre
 C’est la derniĂšre Ă©tape de son voyage, la derniĂšre rencontre aussi, avec Paulette cette fois, l’Amour de son pĂšre.
– N’en doutez pas, amis lecteurs. Et si vous en doutez, reportez-vous alors aux suppliques que Driss adresse Ă  son pĂšre afin d’obtenir son autorisation de l’épouser : elles sont les aveux d’une absolue sincĂ©ritĂ©- (P.127 et 156).
Amour auquel il renoncera pourtant en 1975, alors ĂągĂ© de 37 ans, par « respect aux pĂšres, aux mĂšres mĂȘme quand ils se trompent », son pĂšre ayant refusĂ© « la Française ».
Amine apprend ainsi de Paulette, les circonstances douloureuses de ce renoncement.
Puis celles, l’annĂ©e suivante, du mariage de Driss et Malika-la-Marocaine, sa mĂšre, compagne indĂ©fectiblement douce de son pĂšre. De confidences en confidences, Malika n’ignore pas l’histoire d’amour de Driss avec la « chrĂ©tienne » ni la place qu’elle occupe dans le cƓur de son mari.
Tout est accompli. Cependant encore de trĂšs belles pages Ă  lire, cadeau de Rachid Benzine Ă  son public – comme pour s’assurer que le dĂ©funt, Hadj Driss Benzine, repose bien, en paix, dans le cƓur de ses descendants dont celui d’Amine Benzine, son fils bien-aimĂ©.
Lecture P. 171 ET 172.

 

 

 

 

 

 

 

  • 4 novembre Ă  Lyon 14h Atelier d’écriture associatif « Nos AlgĂ©rie ».
  • 8 novembre projection du film d’Yves Benitah et Patrice Pegeault « 1983 L’espĂ©rance trahie » Ă  l’HĂŽtel de Ville de Lyon
  • 9 novembre Projection de 1983 L’espĂ©rance trahie au Rize Ă  Villeurbanne
  • 9 novembre ConfĂ©rence/dĂ©bat Les pratiques Ă©conomiques et l’Islam dans l’AlgĂ©rie coloniale par Muriam Haleh Davis de l’UniversitĂ© de Californie, modĂ©ration Lahouari Addi. A Lyon, organisĂ©e par le FORSEM
  • 10 et 11 novembre Festival de la SolidaritĂ© internationale Ă  l’HĂŽtel de Ville de Lyon
  • 16 novembre Ă  la Maison des solidaritĂ©s internationales de Lyon, confĂ©rence de Jacques Fontaine « L’insĂ©curitĂ© alimentaire, le marchĂ©, la guerre ».
  • 17 novembre, confĂ©rence de StĂ©phane Beaud Les Ă©meutes de juin 2023 : une premiĂšre approche sociologique. Espace Bancel Ă  Lyon. Organisation FORSEM/Coup de Soleil AuRA
  • 19 novembre Atelier d’écriture Nos AlgĂ©rie.
  • 24 novembre ConfĂ©rence Driss Ksikess Ă  Lyon
  • 28 novembre Rencontre avec le romancier mauritanien Beyrouk et l’universitaire Bios Diallo Ă  Lyon
  • 30 novembre et 1er dĂ©cembre ReprĂ©sentations de la piĂšce Pourquoi les oiseaux ont-ils disparus de la Compagnie Leila Soleil d’aprĂšs les Ă©crits de Rachid Mimouni, au CCO de Villeurbanne
  • 2 dĂ©cembre JournĂ©e mĂ©moires d’appelĂ©s, d’insoumis et de dĂ©serteurs de la guerre d’AlgĂ©rie au centre social de la Condition des soies Lyon 1er, avec Raphaelle Branche et Marius Loris Rodionoff

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