Coup de Soleil Midi Pyrénées invite à cette séance, à la discussion qui suivra et au couscous qui précédera… à 19 heures 30!

Synopsis: Koukou, un jeune de 20 ans, vit dans un village en haute montagne de Kabylie avec ses parents et sa sœur Jura. Au village, Koukou est traité de fou à cause de son look et son comportement différents aux yeux du comité des sages du village et de son père. Pendant un des rassemblements hebdomadaires du village, le comité des sages décide d’interner Koukou, avec la complicité de son père, dans un asile psychiatrique. Son frère Mahmoud, enseignant de philosophie dans un lycée à Bejaia, apprend la nouvelle. Il est révolté par la décision du comité. Pendant son séjour au village, Mahmoud mène un combat quotidien pour convaincre son père et les sages du village de l’innocence de son frère.

On a vu le film: Le long commentaire de Denise Brahimi nous avait rendu impatient https://www.coupdesoleil-rhonealpes.fr/https-www-coupdesoleil-rhonealpes-fr-lettre-culturelle-franco-maghrebine-74

La séance du 24 avril au cinéma Utopia de Tournefeuille s’est révélée très accueillante avec son couscous introductif, puis près d’une centaine de spectateurs ont rempli peu à peu la salle. C’est ma voisine Laura qui me commente à mesure: « ça y est, la jeunesse kabyle vient de débarquer », quand une brochette de jeunes femmes occupe d’un coup deux rangées. Pour moi qui ne parle pas un mot de kabyle, j’essaie de suivre un dialogue à travers les sonorités: je repère telle phrase politique ou philosophique, qui vient tout naturellement dans un français sans le moindre « accent ». C’est très différent d’un film en darija où j’écoute dans chaque phrase des mots français « intégrés » phonétiquement au parler maghrébin. Comme moi sans doute, l’immense majorité du public « kabyle », mais de troisième ou quatrième génération de vie en France, ne comprend que des bribes des paroles.

Commentaires Je passe rapidement sur mon émotion esthétique pour ce film où l’image lente et souvent fixe alterne les immenses paysages, d’autant plus prenants qu’ils évitent tout pittoresque de commande, avec l’intime des intérieurs dépouillés. Dans les commentaires en fin de séance certains s’attachent à la beauté de la nature immense, à celle des clairs-obscurs où la couleur est estompée. Le dialogue est sobre, souvent énigmatique, tout en pudeur, mais ponctué par les éclats de rage des tensions qui éclatent.

Le public hésite devant cette histoire tragique racontée de façon elliptique. Pour moi, la morale et la politique du film sont claires, sans besoin de tirades pour le dire: le traditionalisme cagot de beaucoup d’hommes du village s’affronte au roc du silence des vieilles femmes, à l’explosion de joie des femmes jeunes qui dansent (on nous dit que les associations culturelles qu’elles montent ne cessent de se multiplier). Autre remarque du public: dans ce minuscule village, les absents sont présents pour chacun. « il se dégage du film une énergie pour courir au bonheur ». Omar Belkacemi nous dit que la programmation du film s’organise actuellement tant en Algérie qu’à l’extérieur, et pas seulement pays francophones: à nous d’aider et d’appuyer.

Mon regard sur cette société essaie de décoder les images: de l’économie locale, on ne voit que la récolte par les femmes, lourde corvée, des branchages qui vont alimenter le bétail. Si l’électricité est partout (immenses panoramas des lumières nocturnes des villages), si l’eau courante est soigneusement distribuée dans les maisons, c’est que l’argent vient d’ailleurs: le garçon qui a réussi est prof de philo à Bejaia, un autre travaille en Allemagne (Claude Bataillon)

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Ce film est le regard d’un homme sur une société d’hommes pétrie d’une culture millénaire, aux traditions archaïques, qui résiste encore à la modernité.

Omar Belkacimi nous propose une fresque sociétale de cette kabylie qui végète dans la répétition.

Les  images pour un cinéaste ne sont pas neutres : tout à fait au début on nous montre un village vu d’enhaut avec le minaret qui domine, donc la religion dicte ses lois.Cette imagedu minaret apparaît au moins trois fois, donc l’islam tout puissant règne !

J’ai noté quelques points théoriques  sur cette société kabyle que je dis presque immuable.

Le cinéaste évoque le traitement de l’handicap. Le personnage est déjà montré du doigt et désigné par un diminutif, donc il n’a pas de place parmi les principaux acteurs mâles de la société. Tout de suite on annonce que c’est un être diminué, le cinéaste pose aussi la question de l’originalité, de la minorité sans protection.D’emblée la Normalité interroge, ce qui est diagnostiqué comme « anormal » relève de l’exclusion, dans la société kabyle. Mettre au monde un enfant « anormal »  un enfant « monstrueux » c’est casser la chaîne de la transmission dans la reproduction, c’est toucher à lafiliation et  la filiation c’est sacré. Le sort réservé à ces « marginaux » c’est l’exclusion ou la dissimulation. Koukou représente l’altérité, l’imperfection, d’où l’acharnement des dominants à le rendre invisible.

Un autre éclairage théorique  est porté sur les femmes. Dans la société kabyle il y a une division des tâches  Hommes/femmes et de l’espace dedans/dehors. De cette espace agraire, on voit des  femmes portant des fardeaux de branchages,  scènes qui rappellent le rôle de chacun, elles sont silencieuses et ce silence rappelle leur soumission.

Le cinéaste nous parle de la kabylie avec ses paradoxes, ses frustrations.

De L’amour interdit, cet amour lieu de la souffrance par excellence, car jugé dangereux dès que l’on veut satisfaire des désirs profonds. L’amour est méprisé par l’ordresocial car il crée le désordre.

On note aussi deux savoirs qui s’affrontent : la voix de la modernité, la voix de la science (le prof de philosophie, et le médecin tous deux s’opposent à l’internement de Koukou))  et celle du savoir ancestral usé, d’un autre âge et qui continue à distiller ses recettes.

C’est par le prisme de l’handicap, de la marginalité qu’Omar Belkacimi dévoile les disfonctionnements d’une société, condamnée à vivre dans un ronronnement sans fin.

La vision qu’il propose prouve la maîtrise de sa terre, il est bien le fils de cette Kabylie belle, sauvage et hermétique.

Les images de la nature, naturelle avec ses contrastes, renvoient au fonctionnement des acteurs de cette société. (Noir/blanc -Homme/femme –Ombre/lumière)

Le cinéaste nous met en garde contre les dogmes religieux,  cet obscurantisme qui n’apportent aucune émancipation à l’Homme. D’ailleurs le comité de gérontocrates, qui sont l’œil et l’oreille du village, la caméra les tourne en dérision. Et leurs voix sont celles de l’autorité et de la répression mais jamais celle de la raison.

Le rêve ? Seul espace de liberté, seul échappatoire !

Omar Belkacimi fait partie de ces  rares cinéastes à savoir apporter une note esthétique, une note harmonieuse, cette note s’appelle : La Pudeur propre à cette société.

Il termine sur une note d’espoir : un jeune couple dont la femme dit choisir le célibat, et s’orienter vers l’éducation des jeunes pour rompre avec les mentalités rétrogrades, et peut-être mettre fin à la fatalité.

En tout cas Omar Belkacimi a tenu à rêver en Kabyle ;  à dénoncer un archaïsme millénaire, une domination religieuse qui censure  la joie de vivre ; censure le progrès. Ainsi il s’inscrit désormais dans la liste des cinéastes engagés.

Silence on tourne ! Omar Belkacimi tourne le Rêve, tourne l’Espoir !

Merci pour cet engagement, merci pour cette très belle fresque.

(Laura Mouzaïa)