La mondialisation des pauvres, loin de Wall Street et de Davos. Armelle Choplin et Olivier Pliez, Seuil, La république des idées, 2018, 109 p. La collection La république des idées (Seuil)accueil depuis 2002 entre 3 et 6 ouvrages par an. Les auteurs ont pour la plupart des labels de sociologue, politologue, économiste.

Beaucoup de thèmes ou français ou mondiaux, ciblés sur la démocratisation et ses crises. Peu de titres sur les « pauvres » du monde : urbanisation, migrations, dont celui qui nous intéresse, œuvre de deux géographes, Armelle Choplin et Olivier Pliez. La mondialisation des pauvres, c’est la mosaïque des formes multiples de circulation des marchandises destinées à tous les « pauvres » de l’ancien monde : l’Afrique occidentale surtout littorale et l’ensemble Machreq Maghreb. Aires connectées à une zone de production principale : la Chine et l’Asie du sud-est. Rappelons que dans un contexte différent, l’Amérique latine des pauvres connais la même mondialisation, mais branché traditionnellement sur les Etats-Unis comme l’Afrique est branché sur l’Europe.

Pour l’ensemble Machreq Maghreb, un choc à la lecture du chapitre deux : Espace et mondialisation en Méditerranée. Il attaque un premier exemple, la « promotion » de la ville d’El Oued, Sud-est algérien, devenue dès les années 1970 une place commerciale majeure de la contrebande : parce que pour l’économie très étatisée de l’Algérie, dès le boom pétrolier de 1973, suivi de tant d’autres, le point d’entrée discret des biens de consommation est cette ville bien placée par rapport aux frontières sahariennes poreuses avec la Tunisie et la Libye.

Marc Côte a très bien montré, en géographes urbanistes (Si le Souf m’était conté, Constantine, 2006), http://alger-mexico-tunis.fr/?p=628 comment à El Oued (120 000 habitants), comme dans l’ensemble des oasis de sa wilaya (600 000 habitants), tout investisseur immobilier construit d’abord un garage- entrepôt fermé en rez-de-chaussée avant d’y ajouter un ou plusieurs étages d’habitation. Or pour moi, El Oued fut mon premier « terrain » de géographe, qui m’a permis de découvrir son souk « traditionnel » en 1953, puis de comprendre en 1960 sa première modernisation massive liée à la guerre d’Algérie ; voir trois articles sur ce sujet sur mon blog http://alger-mexico-tunis.fr/?p=474

Le chapitre 3 (mondialisations africaines) raconte de manière frappante ce que sont les circuits commerciaux qui symbolisent l’urbanisation de l’Afrique de l’Ouest : le ciment, les voitures d’occasion, la fripe, la tresse de cheveux artificiels. L’auteur souligne que ces commerces sont certes un bouquet de success-stories, mais au milieu d’échecs, de « réversibilités des routes, liées aux multiples entraves… »

Une « mondialisation inventive, incarnée, vivante- et encore trop souvent ignorée » (p. 109), avec le risque « que les initiatives émanant du haut n’entravent, d’avantage qu’elles n’aident, ce qui est déjà construit et fonctionne, souvent discrètement, aux marges de l’action des Etats et des grands groupes industriels mondiaux » (p. 73). « « Il faut aller observer des espaces méconnus, voire ignorés et souvent en dehors de la carte… (p. 26).

Claude Bataillon